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Les Chevaliers de la Tablature

Toulouse
Théâtre du Capitole
04/10/2002 -  04/14-17-21-24/02


Richard Wagner : Die Meistersinger von Nürnberg (Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg)



Hans Tschammer (Hans Sachs), Jorma Silvestri (Walter von Stolzing), Guido Jentjens (Veit Pogner), Gert Henning-Jensen (David), Christer Bladin (Kunz Vogelgesang), Martin Mühle (Ulrich Eisslinger), Michael Nelle (Konrad Nachtigall), Ralf Lukas (Sixtus Beckmesser), Robert Bork (Fritz Kothner), Kenneth Garrison (Balthazar Zorn), Scott Wilde (Hans Foltz), Miranda von Kralingen (Eva), Cornelia Wulkopf (Magdalena)...


Choeurs et Orchestre National du Capitole, Pinchas Steinberg (direction)

Nicolas Joël (mise en scène)




Décidément, Toulouse a vocation à se transformer en un Bayreuth-sur-Garonne... Après une mémorable Walkyrie en 1999, un Tannhaüser de haut vol et un Or du Rhin roboratif la saison passée ; avant Siegfried et le Crépuscule des Dieux l’an prochain : pause tétralogique ! Suite au flamboyant Peter Grimes, on tient avec ces enchanteurs Maîtres Chanteurs l’autre point fort d'une saison inégale. Nicolas Joël signe là l’une de ses mises en scène les plus convaincantes, quoique plutôt classique. Jouant merveilleusement - c’est à porter à son crédit - avec le défaut majeur de la scène capitoline : son extrême exiguïté.


Pour l’heure, le bonheur est dans le vert pré du dernier tabeau, très coloré ; d’autant qu’il propose une lecture intimiste - une dimension d’opéra de chambre « extraspectif ». Grâce il est vrai au génie - n’ayons pas peur des mots - du maestro concertatore, Pinchas Steinberg (présent pour chaque opéra de Wagner depuis la Walkyrie précitée). Se mesurer à cette « kolossale » Symphonie Lobgesang du Maître de l’Anneau, relève du défi.


Il n’est guère aisé, en effet, de définir cette partition arborescente et hors du commun, plus complexe et ambiguë qu’il n’y paraît. Komische Oper (comme pensait l’intituler au départ Wagner) ; gigantesque cantate symphonique et chorale ; manifeste politique et artistique ; memorandum musical, et réquisitoire contre l’obscurantisme de la critique d’art ? Hymne à liberté d’expression et de création, monstrueux traité de musicologie et de sémiologie, vaudeville lyrique ?? Tapisserie médiévale, fugue monumentale édifiée à la gloire du nationalisme allemand ?!… En authentique démiurge, Wagner a intégré toutes ces différentes facettes dans cet opéra-puzzle - qui tient de la comédie musicale autant que de la conversation en musique ; que Strauss magnifiera à son tour dans Le Chevalier à la Rose et Capriccio.


Grande, du reste, a été l’influence de ces Meistersinger chez les compositeurs. De Strauss justement (écouter son prélude solennel opus 61) à Franz Schmidt (la deuxième symphonie), en passant par le Tchèque Foerster (1859-1951) avec sa magnifique quatrième symphonie. Et même, le très « british » Frederick Delius par son Roméo et Juliette au village, dans certaines scènes chorales : tous ont subi l’attraction magnétique de ce goliath opératique. Pour l’affronter, il est un impératif catégorique: réunir une équipe exemplaire d’artisans (au sens noble du terme).


Du côté des Maîtres Chanteurs, force est de reconnaître que chacun d’entre eux tient dignement son rang. Toutefois, il en est deux qui dominent littéralement la distribution : l’humaniste Sachs, habité par la basse Hans Tschammer, et le retors Beckmesser de Ralf Lukas. D’ailleurs, Nicolas Joël a bâti sa mise en scène autour du débat esthétique, opposant par de savoureuses joutes oratoires le savetier débonnaire, pétri d’humour - pudique, généreux, «arkélien », pragmatique novateur qui ne refuse pas l’innovation et le progès artistique ; au conservateur obtus Beckmesser, clown pédant engoncé dans un dogmatisme poussiéreux, réfractaire à toute interprétation extensive, évolutive, de la redoutable et intangible Tablature...


Et pourtant, ce triste sire parvient à nous émouvoir, lorsqu’après sa sérénade grotesque assaisonnée de fioritures redondantes, il gît, enfoui sous la masse de pelochons et d’oreillers que les voisins excédés lui ont sans ménagement balancés à la figure (le Finale désopilant de l’acte II). Heureusement, les femmes ne sont point admises à concourir. Elles eussent été recalées, d’un coup de craie rageur de la part du marqueur. Notamment, l’Eva trémulante et hors de propos de Miranda van Kralingen ; à l’émission forcée, fâchée avec la ligne de chant (un comble, et un défaut rédhibitoire pour cette œuvre !).


Peu s’en fallut qu’elle ne détruisît l’harmonie lunaire, quasi bellinienne, du quintette de l’acte III - là où il est nécessaire de posséder un timbre diaphane de soprano angelico. Incontestablement, l’un des plus beaux ensembles vocaux conçus par l’esprit humain, avec les quatuors d’Idoménée (« Andrò ramingo e solo ») ou de Peter Grimes (« From the gutter ») - ou encore, l’octuor des Troyens.


En revanche, un concert de louanges, se traduisant par une pluie diluvienne d’applaudissements, a salué l’incomparable direction fluide, précise et équilibrée (face au déferlement choral) du maestro israélien. Dès l’ouverture, une sinfonia da camera traitée comme une partita de Bach, l’enchantement - qui rappelle celui du Vendredi Saint - opère. Le prélude du troisième acte ? Nimbé d’une luminosité « pré-parsifalienne » ; un modèle d’ascèse musicale, de recueillement et d’ascension vers un au-delà séraphique.


Jamais l’on n’a entendu une battue aussi aérienne dans l’ouverture, précisément ; et le monologue de Sachs, dialogue d’une âme avec elle-même. Steinberg, orfèvre scrupuleux, évite toute surcharge, toute battue pachydermique « teuto-détonante », toute dérive pompeuse. C’est un parfait guide dans la Guilde splendide. Point de grandiloquence : jusqu’au joyeux charivari fugué au finale du II - très difficile à restituer - l’ordre règne... dans le désordre le plus échevelé : une quinzaine de lignes vocales se superposant, telle une myriade de lucioles.


Que louer de plus ? Les chœurs éblouissants, les cuivres rutilants ; d’une santé et d’une justesse infaillible. Les cordes ? Translucides, avec un phrasé vaporeux, «amoroso », qui épouse les plus infimes nuances poétiques. Exubérance et rigueur : deux paramètres qui fondent la démarche de Pinchas Steinberg... Avec un chef de cette stature, certaines partitions de Wagner se verraient peut-être réhabilitées, notamment le curieux Rienzi, émondé des scories qui le gangrènent. Quoi qu’il en soit : des Maîtres Chanteurs d’anthologie ! Aussi fascinants que « The walk to Paradise Garden » (Delius) - et illustrant le propos de Busoni : « la Musique est née libre, et son destin est de conquérir la liberté ».





Étienne Müller

 

 

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