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Une ouverture de festival sauvée par un grand chef

Lucerne
Centre de la culture et des congrès
08/11/2023 -  
Gustav Mahler : Symphonie n° 3 en ré mineur
Wiebke Lehmkuhl (alto)
Damen des Chores des Bayerischen Rundfunks, Luzerner Kantorei, Lucerne Festival Orchestra, Paavo Järvi (direction)


(© Priska Ketterer/Festival de Lucerne)


« Paradis ». C’est sur ce thème – un peu bateau il faut bien l’avouer – que se déroule, depuis le 11 août et jusqu’au 10 septembre, l’édition 2023 du Festival de Lucerne. Avec un clin d’œil malicieux, puisque les différents supports de la manifestation (affiches, programmes, site Internet) présentent, non pas une pomme, mais une tomate ou une poire largement mordue. Le paradis à Lucerne ? Une succession ininterrompue, quatre semaines durant, des orchestres les plus prestigieux, dirigés par les chefs les plus réputés. Cette année est marquée par plusieurs anniversaires : d’abord les vingt‑cinq ans de la splendide salle conçue par Jean Nouvel, laquelle continue de faire figure de référence en termes d’acoustique. Puis les vingt ans de l’Orchestre du Festival, créé par Claudio Abbado, qui en a été le directeur musical et l’unique maestro jusqu’à son décès en janvier 2014. Pendant les dix dernières années de sa vie, Abbado n’a dirigé qu’à Lucerne et en tournée avec l’Orchestre du Festival, cette exclusivité rendant ses rares apparitions totalement uniques, les dernières, alors qu’on le savait gravement malade, s’apparentant presque à des messes, tellement la ferveur du public était palpable.


En 2016, Riccardo Chailly a été nommé directeur musical. Mais, contrairement à Claudio Abbado, Chailly n’a jamais eu le monopole des concerts avec l’Orchestre du Festival, d’autres chefs étant aussi sur le podium. Et si la qualité de ses prestations musicales à Lucerne a toujours été indiscutable, ses concerts n’ont cependant jamais produit les étincelles de ceux d’Abbado ou, plus récemment, d’Andris Nelsons ou de Yannick Nézet‑Séguin. Et surtout, depuis quelque temps déjà, la machine est grippée (sans mauvais jeu de mot) : la santé du directeur musical, qui n’est plus tout jeune, semble décliner. Il a dû annuler plusieurs concerts à Lucerne ces derniers étés, et cette année il est totalement absent du festival, ayant dû déclarer forfait pour cause d’opération à une semaine de l’ouverture. On ne peut que lui souhaiter un prompt rétablissement. Son contrat à Lucerne arrivera à expiration en 2026, année au cours de laquelle le responsable actuel du Festival, Michael Haefliger, laissera son poste à Sebastian Nordman. On imagine que ce dernier aura à cœur de donner une nouvelle orientation à la manifestation. Quoi qu’il en soit, on espère qu’il ne désignera pas un nouveau directeur musical car l’orchestre a montré qu’après l’ère Abbado, il est en mesure d’exceller avec des chefs différents, à moins que le nouvel intendant trouve la perle rare qui saura créer un lien, si ce n’est exclusif, du moins étroit entre lui et les musiciens, comme avait su le faire Claudio Abbado.


Trêve de conjectures, revenons au présent : c’est un véritable exploit que vient d’accomplir Paavo Järvi à Lucerne puisqu’il a repris, pratiquement au pied levé, les deux programmes concoctés par Riccardo Chailly pour l’ouverture de l’édition 2023 du Festival. Un concert Mozart‑Brahms (Concerto pour piano « Jeunehomme » avec Maria João Pires et Quatrième Symphonie), mais surtout la Troisième Symphonie de Mahler, œuvre monumentale s’il en est, tant sont imposants les effectifs qu’elle mobilise : un orchestre pléthorique, des chœurs de femmes et d’enfants ainsi qu’une soliste. Pour ses débuts au Festival de Lucerne, le chef estonien est venu en voisin, si on peut dire, étant donné qu’il est l’actuel directeur musical de l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich.


Il a eu l’occasion de diriger la Troisième Symphonie de Mahler – « une musique qui n’est rien d’autre qu’un bruit de la nature » selon le compositeur lui-même – à Zurich il y a deux ans, avec déjà Wiebke Lehmkuhl comme soliste, pour la réouverture de la Tonhalle après des travaux de rénovation. Cuivres étincelants et percutants, bois aériens et capiteux, cordes malléables et soyeuses, sans oublier les harpes et les percussions... on le sait, l’Orchestre du Festival de Lucerne est composé d’instrumentistes d’exception, en poste dans les principales phalanges européennes. Le résultat pour cette Troisième Symphonie de Mahler ? Des soli de toute beauté, aux superbes couleurs, mais surtout qui se sont admirablement fondus dans la masse orchestrale. Et malgré toutes ces individualités, Paavo Järvi a réussi à donner une cohésion à l’ensemble et à tenir le cap, maintenant de bout en bout la tension musicale, une gageure compte tenu de la durée de l’œuvre (un peu plus d’une heure et demie). La partition est divisée en deux parties, et l’interprétation du chef a fait clairement ressortir ce découpage, avec une première partie (constituée d’un seul mouvement de plus de trente minutes) plutôt formelle et rationnelle, presque distante et froide, malgré l’immense patchwork de musiques populaires, de canards humoristiques et de bruits de la nature qu’elle contient. Changement total d’atmosphère avec la seconde partie de l’œuvre, le chef lui conférant des accents beaucoup plus romantiques. Paavo Järvi a ciselé en orfèvre le deuxième mouvement, menuet doux et langoureux, alors que le Scherzo qui a suivi s’est révélé d’une délicatesse rare, grâce notamment aux magnifiques interventions du cor de postillon. Dans le quatrième mouvement, le « O Mensch ! Gib acht » lancé par Wiebke Lehmkuhl pianissimo, de sa voix ample et chaude, de façon à peine audible, a ressemblé à une prière, se fondant dans un orchestre diaphane, dans une intense émotion. Dans le cinquième mouvement, le chœur de femmes, enrichi de cloches qu’imitent les enfants (« Bimm, bamm »), a dialogué avec la soliste, laquelle a trouvé d’indicibles accents douloureux pour exprimer tout son désespoir. La dimension profonde et mystique de l’œuvre est pleinement apparue au dernier mouvement, avec des cordes splendides, rejointes par des cuivres rayonnants. Un crescendo superbement maîtrisé, qui a suspendu le temps. Le public était au paradis. Applaudissements chaleureux puis ovation debout. Lucerne doit une fière chandelle à Paavo Järvi, qui a sauvé l’ouverture du festival 2023.


Le site du Festival de Lucerne



Claudio Poloni

 

 

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