Back
Honneur aux percussions Normandie Deauville (Salle Elie de Brignac‑Arqana) 08/01/2023 - Thierry Escaich : Vitrail
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 15, opus 141 (transcription Viktor Derevianko) Trio Messiaen : Philippe Hattat (piano), David Petrlik (violon), Volodia van Keulen (violoncelle) – Trio Xenakis : Emmanuel Jacquet, Rodolphe Théry, Nicolas Lamothe (percussion)
Le premier concert du vingt‑deuxième Août musical de Deauville était consacré à des pages confiées à un effectif instrumental inusité : un violon, un violoncelle, un piano et des percussions. Deux trios, aux noms marquant un attachement certain à la musique contemporaine, étaient pour l’occasion réunies, le Trio Messiaen, créé en 2014, déjà repéré à Deauville (voir ici et ici) et qui mène une belle carrière au concert comme au disque, et le Trio Xenakis, moins connu, fondé en 2018 mais composé d’artistes déjà aguerris et dont l’un des membres fondateurs, Adélaïde Ferrière, était exceptionnellement remplacé ce soir par Nicolas Lamothe.
La première partie du concert était consacrée à une création de Thierry Escaich (né en 1965), dûment annoncée dès le festival de Pâques de cette année, mais sans titre (trouvé en cours de route) : Vitrail. Il s’agissait d’une commande de la Fondation Singer‑Polignac et des Amis de la musique à Deauville pour les trios Messiaen et Xenakis. L’initiative était particulièrement heureuse, ConcertoNet ayant eu l’occasion de déplorer à plusieurs reprises la portion congrue accordée à la musique contemporaine dans les festivals deauvillais où se produisent quand même essentiellement de jeunes artistes dont on peut penser qu’ils y sont plus sensibles que d’autres. L’œuvre résultait d’un assemblage de pièces éparses selon une réorganisation leur donnant une sorte de courbe, assez classique finalement, de Gauss : un début et une fin étales, presque extatiques, et un centre marqué par une certaine exubérance, voire une certaine frénésie, typique du compositeur, où la danse, le chant grégorien, le jazz sont plus ou moins décelables.
La contrainte de la commande consistait à s’en tenir à l’effectif retenu par la transcription de la Quinzième Symphonie (1971) de Dimitri Chostakovitch (1906‑1975) par le pianiste Viktor Derevianko (né en 1937), ce qui conduisait inévitablement, nonobstant le langage propre de Thierry Escaich, à faire penser aux passages justement étales de ladite symphonie, notamment dans son Final. C’est un festival de couleurs sonores auquel on assiste. La virtuosité des interprètes est particulièrement sollicitée ; les percussionnistes courent beaucoup d’un instrument à l’autre, utilisent des archets pour frotter les cymbales tandis que le pianiste, méticuleux et concentré, doit frotter directement les cordes du piano à queue par‑dessus le clavier et le violoncelliste, à la partition redoutable, est amené à frapper les cordes col legno. Le jeu du célesta et du piano, aux sonorités cristallines, fait parfois penser à des volées de cloches. Les artistes se démènent, le violon paraissant malheureusement un cran en dessous, et l’œuvre est d’un intérêt constant.
P. Hattat, D. Petrlik, V. van Keulen, E. Jacquet, N. Lamothe, R. Théry (© Stéphane Guy)
A l’issue, le compositeur, organiste et enseignant au Conservatoire supérieur de musique et de danse de Paris, très attaché à la transmission, appréciant manifestement le contact avec les jeunes artistes, classiquement très présents à Deauville, et créateur compulsif, montre sa satisfaction et est chaleureusement applaudi par un public attentif mais vraiment trop peu nombreux pour ce concert exceptionnel malgré les efforts de communication déployés (bannières partout, articles de presse, annonces radiophoniques, panneaux d’affichage, etc.) au point de laisser pantois, à deux heures de Paris, trois quarts d’heure de Caen ou de Rouen et en pleine période de congés d’été.
Il n’y a pas de pause et après un aménagement de plateau notamment pour repositionner les micros de captation, installer la grosse caisse et retourner le célesta du côté du pianiste, il est proposé une curiosité, pas seulement parce que l’œuvre est celle d’un compositeur revenu de tout au soir de sa vie, qui ose tout dans le contexte soviétique qui est le sien, et pour ses clins d’œil à Tristan et Isolde, à l’Ouverture de Guillaume Tell de Rossini ou au dodécaphonisme : la transcription pour un effectif chambriste de la dernière et monumentale Quinzième Symphonie de Chostakovitch, réduction qui aurait été approuvée par le compositeur et qui a pu être défendue il y a quelques années au disque par Gidon Kremer (Deutsche Grammophon) puis par Kolja Blacher (Phil.harmonie). Effectivement, les passages confiés aux percussions dans l’œuvre initiale se prêtaient assez bien à l’exercice réalisé mais il est clair que les effets monumentaux, de souffle devrait‑on dire, dus à l’orchestre prévu originellement, manquent singulièrement. Beaucoup repose sur le piano et il faut déplorer malgré tout de lourdes pertes sur le front ; la puissance des cuivres dans le dernier mouvement, par exemple. Au surplus, le violon, à la justesse inégale, déçoit à nouveau. Cela n’empêche pas une réussite globale, le deuxième mouvement, comme suspendu, étant véritablement déchirant. Les percussions se révèlent encore une fois fout à fait remarquables.
Le site d’Août musical à Deauville
Le site du Trio Xenakis
Stéphane Guy
|