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Pluie d’étoiles sur Verbier Verbier Salle des Combins 07/24/2023 - Serge Rachmaninov : Préludes, opus 23 : 1. Largo (fa dièse mineur) [1], 2. Maestoso (si bémol majeur) [2], 3. Tempo di minuetto (ré mineur) [3], 4. Andante cantabile (ré majeur) [4], 5. Alla marcia (sol mineur) [5], 6. Andante (mi bémol majeur) [6], 7. Allegro (do mineur) [7], 8. Allegro vivace (la bémol majeur) [8], 9. Presto (mi bémol mineur) [9] & 10. Largo (sol bémol majeur) [10]
Johann Sebastian Bach : Variations Goldberg, BWV 988 [11] (transcription Dmitry Sitkovetsky)
Gioachino Rossini : Duo des chats [12]
Camille Saint-Saëns : Carnaval des animaux valaisans (transcription Mathieu Herzog) [13]
Chris Hazell : Medley de cinq chansons populaires: I. Traditionnel : Shenandoah (arrangement Hazell) [14] – II. Franz Schubert : Winterreise, D. 911 : 5. « Der Lindenbaum » (arrangement Alexander Schmalcz) [15] – III. Jacques Brel : Quand on n’a que l’amour (arrangement Guy‑François Leuenberger) [16] – IV. Traditionnel : All through the night (arrangement Hazell) [17] – V. Traditionnel : Sometimes I feel like a motherless child [18]
Johann Strauss fils Eljen a Magyar!, opus 332 [19]
Leonard Bernstein : Candide : Ouverture [20] Barbara Hendricks [13, 18] (soprano, récitante), Benjamin Bernheim [16] (ténor), Matthias Goerne [15], Thomas Hampson [12, 14], Bryn Terfel [12, 17] (barytons), Isabelle Huppert [13], Marthe Keller [13] (récitantes), Martin Fröst [11, 13, 20] (clarinette), Håkan Hardenberger [11, 20] (trompette), Kristóf Baráti [11, 20], Lisa Batiashvili [11, 20], Joshua Bell [11, 20], Nicola Benedetti [11, 20], Marc Bouchkov [11, 20], Renaud Capuçon [11, 13, 20], Alexandra Conunova [11, 20], Augustin Hadelich [11, 20], Daniel Hope [11, 13, 20], Janine Jansen [11, 20], Leonidas Kavakos [11, 20], Daniel Lozakovich [11, 20], Vadim Repin [11, 20], Alexander Sitkovetsky [11, 20], Dmitry Sitkovetsky [11, 20], Eduard Wulfson [11, 20] (violon), Amihai Grosz [11, 20], Mathieu Herzog [11, 20], Lawrence Power [11, 20], Antoine Tamestit [11, 20], Blythe Teh Engstroem [11, 20] (alto), Nicolas Altstaedt [11, 20], Gautier Capuçon [11, 13, 20], Daniel Blendulf [11, 20], Sheku Kanneh‑Mason [11, 20], Mischa Maisky [11, 20], Klaus Mäkelä [11] (violoncelle), Sergei Babayan [11], Yefim Bronfman [5], Lucas Debargue [8, 11, 13], Alexandra Dovgan [11], Mao Fujita [3], Kirill Gerstein [6], Richard Goode [11], Alexandre Kantorow [1, 13], Evgeny Kissin [2], Alexander Malofeev [7], Brad Mehldau [11], Mikhaïl Pletnev [4], Lahav Shani [11, 12], Daniil Trifonov [9], Yuja Wang [10], Tsotne Zedginidze [11] (piano), Quatuor Ebène [11, 20]
Verbier Festival Chamber Orchestra, Christoph Eschenbach [14], Mathieu Herzog [13], Klaus Mäkelä [20], Gábor Takács-Nagy [19] (direction): Antoine Jaccoud [13] (texte), Sandra Albukrek [13] (peintures, film d’animation), Elsa Rooke [13] (mise en espace)
(© Lucien Grandjean)
Quelque cinquante solistes et une quarantaine d’instrumentistes pour près de quatre heures de musique... le Festival de Verbier vient de fêter avec panache son trentième anniversaire, par un concert grandiose et unique en son genre, comme il en a le secret. Le déroulement de la soirée donne le tournis : les festivités ont commencé avec les dix Préludes opus 23 de Rachmaninov interprétés par... dix pianistes différents, et non des moindres. La présence de deux instruments sur scène a permis une transition parfaitement fluide d’un morceau à l’autre. Voir ainsi défiler une telle pléiade de virtuoses du clavier, avec chacun son style, est en soi une expérience inédite. C’est Martin Engstroem lui‑même, fondateur et responsable de la manifestation, qui a réparti les pages entre les artistes, se fiant à sa seule intuition.
La suite était à l’avenant, avec d’abord un autre passage de témoin sur les Variations Goldberg de Bach, retranscrites par le violoniste Dmitry Sitkovetsky pour quelques‑unes des cordes (et des souffleurs ainsi que des pianistes aussi) parmi les plus célèbres de la planète classique, avec à la clé des rencontres inédites comme les affectionne le festival depuis ses débuts, entre deux, trois, quatre ou cinq musiciens. Pour l’anecdote, on notera que la présence de Brad Mehldau a donné des accords jazzy à Bach ! La joie d’être sur scène pour cette occasion particulière et de jouer ensemble était visible sur chaque visage, pour le plus grand bonheur du public d’ailleurs, qui de toute évidence s’est délecté de l’atmosphère conviviale de la soirée. Dans ces conditions, il serait vain de vouloir juger les prestations des uns et des autres et d’établir des classements, même si, bien évidemment, tout n’était pas du même niveau.
La troisième partie de cette soirée anniversaire était consacrée à la voix humaine, laquelle a débuté par un désopilant Duo des chats de Rossini au cours duquel les deux félins du monde lyrique que sont Thomas Hampson et Bryn Terfel s’en sont donné à cœur joie. Puis le Carnaval des animaux de Saint‑Saëns, réarrangé pour mettre en valeur les animaux de la région, aura surtout permis une délicieuse conversation, un brin surannée, entre Barbara Hendricks, Marthe Keller et Isabelle Huppert, les trois marraines du Festival de Verbier comme on les appelle affectueusement, car elles étaient présentes lors de la toute première édition. Une Barbara Hendricks qui a fait très forte impression quelques instants plus tard, lorsqu’elle s’est lancée, a cappella, dans le gospel Sometimes I feel like a motherless child, confondante d’expressivité mais aussi de justesse d’intonation de bout en bout, avec des aigus encore vigoureux et impressionnants, malgré ses 75 printemps. On mentionnera aussi l’émouvant Quand on n’a que l’amour de Brel chanté par Benjamin Bernheim.
La soirée s’est conclue sur des accents particulièrement festifs, tout d’abord avec une polka hongroise de Johann Strauss fils, puis avec l’Ouverture de Candide de Bernstein, au cours de laquelle Klaus Mäkelä a dirigé avec fougue et énergie les musiciens de l’Orchestre de chambre du Festival de Verbier, auquel se sont joints tous les solistes du concert. Voir et entendre autant d’artistes sur la même scène restera une expérience inoubliable pour tous les spectateurs de cette soirée exceptionnelle.
Si, aujourd’hui, Verbier est l’un des plus grands et des plus réputés festivals d’été consacrés à la musique classique, on oublie peut-être un peu rapidement que les débuts de la manifestation n’ont pas été une sinécure, tant s’en faut. Martin Engstroem, son fondateur, a été traité de doux rêveur voire carrément de fou quand il a affiché sa volonté de créer un festival sur les alpages, loin de tout. Et d’ailleurs, le premier concert, en 1994, dirigé par Zubin Mehta, n’a de loin pas fait le plein, les sceptiques ayant été particulièrement nombreux au début de l’aventure. Il faudra plusieurs années pour que Verbier acquière ses lettres de noblesse, grâce à la détermination et à la ténacité de Martin Engstroem. Trentième anniversaire oblige, le premier concert de l’édition 2023 était placé sous la direction du maestro indien et il a affiché complet cette fois !
Si les réjouissances sont l’occasion de retracer le chemin parcouru, elles ont surtout été prétexte, au sein de l’équipe dirigeante, à des réflexions sur l’avenir, afin d’assurer la pérennité de la manifestation. Même si son départ n’est pas (encore) à l’ordre du jour, Martin Engstroem fêtera ses 70 ans cet été et la question de sa succession a été mise sur la table. Quand bien même le passage de témoin ne se fera pas dans l’immédiat, il a été décidé que la direction artistique du Festival de Verbier serait désormais assumée conjointement par Martin Engstroem et sa femme, Blythe Teh Engstroem. Cette dernière connaît très bien la manifestation, pour avoir rejoint l’Orchestre du festival il y a vingt‑quatre ans comme altiste et avoir officié comme programmatrice. En outre, la danse et le théâtre devraient faire leur grand retour dans la station suisse, où ils avaient été présents pendant les dix premières éditions. Et, élément important s’il en est, la question de la construction d’une salle en dur a une nouvelle fois été mise sur le tapis. La pluie tombée sur la tente de Verbier pendant la soirée anniversaire en a rappelé toute la pertinence.
Ce trentième anniversaire est aussi marqué par la parution d’un livre d’entretiens que Martin Engstroem a accordés au journaliste Bertrand Dermoncourt. Dans cet ouvrage absolument passionnant salué dans nos colonnes, le fondateur du Festival de Verbier se raconte sans fard – un exploit, lui qui est plutôt taciturne – évoquant son enfance et son adolescence en Suède, ses nombreuses rencontres avec des musiciens dès son plus jeune âge, son amour pour la musique et son parcours dans le milieu musical ainsi que tout le travail accompli pour faire de Verbier ce qu’il est aujourd’hui. Illustré d’une trentaine de photos, le livre fourmille d’anecdotes et de portraits de musiciens. Un must pour tout mélomane.
Le site du Festival de Verbier
Claudio Poloni
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