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Le Roi des aulnes selon Hugues Dufourt La Grave Eglise Notre-Dame de l’Assomption 07/20/2023 - Hugues Dufourt : Erlkönig
Ludwig van Beethoven : Sonate pour piano n° 32, opus 111 François-Frédéric Guy (piano)
F.‑F. Guy (© Bruno Moussier)
Face aux somptueux glaciers de la Meije – dont les neiges, hélas, sont de moins en moins éternelles – l’église de la Grave, à flanc de colline, nous ouvre ses portes. C’est à François‑Frédéric Guy qu’il revient d’inaugurer cette vingt‑cinquième édition du festival Messiaen. Le pianiste connaît bien Erlkönig pour l’avoir créé en 2006 et joué souvent depuis. De crainte d’être discourtois, on n’avancera pas que cette pièce sonne, selon les vœux d’Hugues Dufourt (né en 1943), « avec la stridence d’une roulette de dentiste ». Mais il s’en faut qu’elle soit une œuvre aimable : un accordeur est prié d’officier à l’issue de l’exécution eu égard au traitement infligé à l’instrument. Dufourt y déploie un camaïeu de gris ; il appartient au toucher de l’interprète d’en nuancer les textures, d’en varier les éclairages. Creusant la matière sonore tel un peintre étalant sa pâte au couteau, François‑Frédéric Guy embrasse avec des gestes amples toute l’étendue du clavier et inscrit d’emblée la musique dans le temps long. Le parcours de ces trente minutes s’intensifie à coup d’accords qui fonctionnent fréquemment par paires (le second se fondant dans le premier). Les appels, de plus en plus pressant, instillent une manière de malaise qui éclate en une chevauchée aussi brève que violente. Le climat riche en expectative du début reparaît, comme si Dufourt jouait avec les nerfs de l’auditeur. Guy extirpe des graves de son instrument des sonorités épaisses, gluantes, de plus en plus rageuses ; puis, comme recrue de fatigue, la chevauchée s’éteint dans les graves.
La Sonate Opus 111 aligne deux mouvements contrastés : le premier, résolument sanguin et très (trop ?) impatient rythmiquement (silences rongés au début), baigne dans une inquiétude continuelle, ce que la reprise ne fera qu’attiser. Assez lente dans les premières variations, l’Arietta ne laisse pas de chanter, y compris quand Beethoven monnaye ses rythmes en petites valeurs. François‑Frédéric Guy s’autorise certes un léger décalage entre les deux mains dans l’énoncé liminaire, mais c’est pour mieux valoriser le cantabile de la dextre et savourer les célestes harmonies. On aurait tort cependant de percevoir un discours saccadé tant notre pianiste, d’une grande lucidité dans ce qu’il fait, phrase par périodes et non par mesures. Les trilles sans attache terrestre ressurgissent dans le célébrissime Nocturne en ut dièse mineur de Chopin donné en bis.
Jérémie Bigorie
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