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Quincaillerie, art et musique Baden-Baden
Festspielhaus
06/11/2023 -
Antonín Dvorák : Concerto pour violoncelle n° 2, opus 104, B. 191 – Symphonie n° 9 « Z nového světa », opus 95, B. 178
Mischa Maisky (violoncelle)
Würth Philharmoniker, Claudio Vandelli (direction) 
(© Ufuk Arslan)
On peut s’acheter beaucoup de choses quand on a beaucoup d’argent : des villas dotées de trente salles de bains chacune, des châteaux avec ou sans vignoble classé attenant, des bolides, des îles entières, des voyages sur orbite... Le milliardaire Reinhold Würth, 88 ans aujourd’hui, a préféré, lui, mettre une partie des revenus de sa colossale entreprise de quincaillerie au service de l’art, surtout moderne, en accumulant une collection de 18 000 œuvres, exposée dans une quinzaine de « Musées Würth » dispersés dans plusieurs pays européens, mais aussi de projets musicaux de grande envergure. « If I Were a Rich Man », comme nous le chante un célèbre personnage de comédie musicale... ! Mais ici les retombées pour la collectivité sont tout à fait respectables.
A la particularité près, que pour dénicher les produits du mécénat Würth, il faut s’aventurer non pas en milieu urbain, ni même au cœur insoupçonné de magasins de sacs à main, comme pour certaines expositions branchées organisées par Bernard Arnaud, mais dans des zones d’activité situées à distance des grandes agglomérations. Les Musées Würth ont tous été intentionnellement construits à côté des bâtiments industriels Würth, unités de production, bureaux, aires de stockage... l’idée directrice étant d’apporter la culture là où on ne l’attend pas, et en particulier sur le lieu de travail des employés de l’entreprise. Une utopie qui a également prévalu en 2017 pour la fondation des Würth Philharmoniker, un orchestre symphonique entièrement nouveau, doté d’un auditorium de 580 places spécialement construit pour lui, à Künzelsau, petite bourgade du Bade‑Wurtemberg située au nord de Stuttgart. Un centre culturel en rase campagne, juste à côté du principal siège du groupe Würth (la Firmenzentrale der Adolf Würth GmbH & Co). La petite histoire nous raconte qu’il s’agissait d’un cadeau d’anniversaire pour Mme Würth, qui fêtait ses 80 ans au moment de l’ouverture de ce complexe à 60 millions d’euros, baptisé comme de juste « Carmen Würth Forum ». « C’est avec reconnaissance que je souhaite ériger un monument à ma chère épouse Carmen, avec laquelle je suis marié depuis maintenant soixante et un ans. Il gardera son souvenir vivant, sous la forme la plus belle, bien au‑delà de notre époque ». Jolie attention !
En tout cas le cadeau continue à bien fonctionner, avec une saison de concerts relativement étoffée, dans la Reinhold Würth Saal du Carmen Würth Forum, voire avec quelques déplacements ponctuels hors les murs, en compagnie de solistes de renom. Les Würth Philharmoniker, orchestre à géométrie variable autour d’un noyau fixe de trente‑cinq musiciens titulaires, jouent actuellement sous la direction du chef italien Claudio Vandelli, directeur musical en poste depuis 2020, voire de chefs invités : Charles Dutoit, Lawrence Foster, Jörg Widmann, Petr Fiala... Tout cela d’un enviable niveau.
Programme très conventionnel au demeurant pour ce concert au Festspielhaus de Baden‑Baden, mais correctement assumé par une phalange qui sonne bien, présente ce soir dans un véritable format symphonique (environ soixante‑dix musiciens). La Symphonie du Nouveau Monde de Dvorák s’écoule sans aspérité, les timbres sont d’une véritable distinction, mais l’ensemble manque de personnalité. Peut‑être en raison d’une certaine réserve de la part du chef, qui s’implique juste assez pour que l’ensemble fonctionne, mais sans vraiment empoigner l’œuvre pour en aviver les climats. Joli solo de cor anglais dans le Largo, mais là encore pas de véritable investissement.
En compagnie de Mischa Maisky, la donne est évidemment autre. Le violoncelliste israélien d’origine lettonne, 75 ans aujourd’hui, a derrière lui d’innombrables exécutions du Concerto de Dvorák et tout ce bagage ressort à chaque mesure du parcours, même si ni la vigueur d’archet ni la précision des intonations ne sont ceux de naguère. On a l’impression d’un paysage au couleurs un peu passées, mais d’une mélancolie touchante. Chaque phrase du soliste, même un rien hésitante parfois, paraît polie aux entournures par d’innombrables passages, qui n’en mettent désormais plus en exergue que le pouvoir d’évocation poétique, et non pas la simple virtuosité des traits. L’accompagnement orchestral n’est ici qu’un faire‑valoir, mais les effets de clair‑obscur qui en découlent, avec toute la focalisation de l’éclairage sur le soliste central, sont de toute beauté.
Laurent Barthel
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