About us / Contact

The Classical Music Network

Montpellier

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Une heureuse résurrection

Montpellier
Opéra Comédie
06/07/2023 -  et 9, 10* juin 2023
Antonio Sartorio : L’Orfeo
Arianna Vendittelli (Orfeo), Alicia Ama (Euridice), Kangmin Justin Kim (Aristeo), Zachary Wilder (Erinda), Maya Kherani (Autonoe), David Webb (Ercole), Paul Figuier (Achille), Yannis François (Chirone, Bacco), Renato Dolcini (Esculapio, Pluto), Gaia Petrone (Orillo)
Ensemble Artaserse, Philippe Jaroussky (direction musicale)
Benjamin Lazar (mise en scène), Adeline Caron (décors) Alain Blanchot (costumes), Philippe Gladieux (lumières)


A. Vendittelli, A. Ama (© Marc Ginot)


Dans le domaine lyrique, le mythe d’Orphée (Orfeo) fut l’un des plus appréciés par les compositeurs de tous les temps ; Orphée n’est‑il pas lui‑même musicien ? On dénombre sur ce sujet des dizaines et des dizaines de partitions, allant de Jacopo Peri (1600) à Damase (1972), même si dominent encore et toujours celle de Monteverdi (1607), de C. W. Gluck (1762) et jusqu’à la parodie comique de Jacques Offenbach (1858). Chaque compositeur a vu sous un angle différent et personnel la stature d’Orphée : le compositeur-interprète qui enchante bêtes et hommes, l’amant éperdu d’amour pour Eurydice, le vainqueur de la mort, le pèlerin qui descend aux enfers chercher ce qu’il a perdu... Avec le Vénitien Antonio Sartorio (1630‑1680), compositeur encore mal connu, c’est encore une autre approche, bien éloignée du mythe, tout en bizarreries loufoques et biscornues : Orphée, roi de Thrace, se montre jaloux de l’amour qu’Aristée, son frère, porte à Eurydice. Il en est tellement jaloux qu’il ordonne le meurtre de son épouse au berger Orillo. Et c’est en fuyant le glaive meurtrier du mercenaire que la belle Eurydice sera mordue par le fameux serpent, l’intrigue reprenant alors son déroulé académique, même si le finale met en avant les amours secondaires d’Aristée et d’Antinoé, une de ses anciennes maîtresses qui finit par le reconquérir.


Bravo à l’Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie d’avoir eu le courage de remonter cet ouvrage oublié créé au Teatro San Salvatore de Venise en 1672 (et ici en création française), d’une durée de près de quatre heures (avec un entracte), et pas moins d’une cinquantaine d’airs en tout, tirés à partir des trois manuscrits existants de la partition, et disséqués par Philippe Jaroussky (en résidence dans la capitale languedocienne avec son Ensemble Artaserse), à qui est confiée la direction musicale de l’entreprise. Et pas de temps morts dans cette partition échevelée, où les nombreuses et différentes intrigues reviennent périodiquement, à la manière d’épisodes et à l’instar de nos séries télévisées de type Netflix. Et c’est à un spécialiste de ce répertoire, le metteur en scène français Benjamin Lazar, que Valérie Chevalier a confié la mise en images du spectacle, tandis que la scénographie est signée par Adeline Caron. Ensemble, ils ont imaginé un décor assez sobre, constitué d’un amphithéâtre anatomique, où sont scrutées les âmes et décortiqués les sentiments des personnages inventés par Aurelio Aureli, le merveilleux librettiste dont Sartorio a eu la bonne idée de s’entourer. Les lumières inventives de Philippe Gladieux et les costumes chamarrés, baroquisants et parfois « foutraques » d’Alain Blanchot – Orillo déguisé en punk, Chiron en centaure « militaire » se déplaçant sur des béquilles, ou Autonoé en bohémienne sortie tout droit d’un magasin Zara – participent pleinement à la magie visuelle du spectacle.


Côté vocal, la distribution se montre sans faiblesse et digne d’enthousiasme, à commencer par l’Orphée de la soprano romaine Arianna Vendittelli, à la belle voix sombre, riche en couleurs, aussi élégiaque dans la déploration que vindicative dans les arie di furore. Son Eurydice est la soprano espagnole Alicia Amo, émouvante tant vocalement que scéniquement, avec son joli minois et un timbre délicatement fruité. De son côté, le contre‑ténor coréen Kangmin Justin Kim impressionne par la projection de la voix (pour cette tessiture), et s’avère assez bon comédien pour que l’on croit et entre en sympathie avec ses tourments sentimentaux. En drag‑queen peroxydée (alla Marylin Monroe) que les hormones travaillent encore (malgré son âge avancé...), le ténor américain Zachary Wilder campe une impayable (nourrice) Erinda, attirant autant les projecteurs que l’Arnalta monteverdienne (dans Poppée) dont le personnage s’inspire ici directement, tandis que son ténor clair et aérien séduit également. En Autonoé, la soprano indo‑américaine Maya Kherani fait fi des vocalises de son air du III, qu’elle délivre avec des aigus cristallins et néanmoins puissants. C’est un grand bonheur de retrouver la magnifique mezzo Gaia Petrone, ici distribuée dans le rôle du berger Orillo, à l’improbable tenue punk, et dont la profondeur du registre grave. Le trio « comique » formé par le baryton‑basse Yannis François (Chiron), le ténor David Webb (Hercule) et le contre‑ténor Paul Figuier fonctionne à merveille, le premier piaffant comme un cheval sur ses deux béquilles, tandis que ses deux compères sont tout de blanc vêtus et maquillés, comme s’ils étaient des statues antiques mouvantes. Enfin, le baryton italien Renato Dolcini prête ses graves profonds aux personnages d’Esculape et de Pluton.


Pour redonner vie à cette vivifiante partition, on pouvait faire confiance à Philippe Jaroussky de se montrer à la hauteur de la tâche, après avoir pleinement convaincu, in loco, par son exécution de l’oratorio Il primo omicidio d’Alessandro Scarlatti, puis Jules César la saison dernière. Malgré son petit nombre de musiciens (quinze en tout), l’Ensemble Artaserse n’en sonne pas moins remarquablement bien grâce à l’acoustique sèche de l’Opéra Comédie. Sa direction musicale est probe, et égrène toute la palette des émotions humaines contenues dans l’œuvre, doucereuse, pleine d’alacrité ou sombre quand l’action l’exige, telle la scène de descente aux enfers, un des plus beaux moments de la soirée.


Prévenons le lecteur que cette magnifique production sera reprise l’automne prochain à Paris, au Théâtre de l’Athénée (maison coproductrice du spectacle), avec de jeunes chanteurs issus de l’Académie de Royaumont qui accueillera également l’ouvrage, lequel fera aussi, et c’est une bonne nouvelle, l’objet d’une captation discographique.



Emmanuel Andrieu

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com