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Qui trop embrasse mal étreint

Geneva
Grand Théâtre
06/11/2023 -  et 14, 17, 20, 22, 25, 27, 29 juin 2023
Giuseppe Verdi : Nabucco
Nicola Alaimo*/Roman Burdenko (Nabucco), Saioa Hernandez (Abigaille), Riccardo Zanellato (Zaccaria), Davide Giusti (Ismaele), Ena Pongrac (Fenena), Giulia Bolcato (Anna), Omar Mancini (Abdallo), William Meinert (Il Gran Sacerdote)
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Alan Woodbridge (préparation), Orchestre de la Suisse Romande, Antonino Fogliani (direction musicale)
Christiane Jatahy (mise en scène), Thomas Walgrave, Marcelo Lipiani (décors), An D'Huys (costumes), Thomas Walgrave (lumières), Batman Zavarese (coordination audiovisuelle), Paulo Camacho (directeur de la photographie), Júlio Parente (développement du système vidéo), Pedro Vituri (création sonore), Clara Pons (dramaturgie)


(© Carole Parodi)


Pour clore sa saison 2022‑2023, le Grand Théâtre de Genève présente une nouvelle production de Nabucco signée Christiane Jatahy. La metteur en scène et cinéaste brésilienne, qui a reçu un Lion d’or pour l’ensemble de sa carrière à la Biennale de Venise l’année dernière, est la nouvelle coqueluche des planches théâtrales, et on imagine aisément que les directeurs d’opéra doivent aussi la courtiser. Le chef‑d’œuvre de jeunesse de Verdi est son deuxième essai lyrique, après Fidelio à Rio de Janeiro. Christiane Jatahy a voulu abolir les frontières entre salle, fosse et scène pour rapprocher le drame du public, pour que ce dernier fasse en quelque sorte partie du spectacle, en immersion totale pourrait‑on dire. Par une débauche de moyens technologiques, elle a tenté de créer un nouveau cadre spatio‑temporel, mais le spectateur est tellement sollicité par tout ce qui se passe autour de lui que c’est exactement l’inverse qui se produit : on a de la peine à entrer dans la trame tant l’œil est distrait de toutes parts. Deux immenses miroirs superposés au fond du plateau, dont un inclinable, reflètent la salle et le public, mais aussi la fosse et une partie de la scène. Des choristes, qui se lèvent lors de leurs interventions, sont assis au parterre parmi les spectateurs, ainsi qu’aux balcons. Des figurants et des solistes entrent dans la salle avant de monter sur scène (on aurait pu, soit dit en passant, aller plus loin dans le procédé en installant des spectateurs sur scène, ce qui s’est déjà vu à l’opéra). Le miroir inférieur se transforme en écran géant sur lequel sont projetés des gros plans des solistes, des choristes et des figurants, grâce à deux cameramen qui se déplacent sans cesse sur le plateau (malheureusement, il y a constamment quelques secondes de décalage entre l’action sur scène et les images, ce qui est particulièrement gênant lorsqu’on voit le visage des chanteurs en plan rapproché). Des vidéos, très belles au demeurant, sont aussi projetées sur tout le cadre de scène et même sur les parois de la salle, comme par exemple des gouttes de pluie qui donnent l’impression saisissante d’envelopper tout l’auditoire. C’est indéniable, le concept est original et novateur, extrêmement esthétisant et intéressant de surcroît, mais on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’il apporte vraiment à l’intrigue de l’opéra. On a le sentiment d’assister à un déballage de gadgets les uns plus spectaculaires que les autres. Mais trop de technologie finir par distraire et tuer toute émotion. Force est de reconnaître cependant qu’au rideau final, Christiane Jatahy et toute son équipe ont été acclamées et très chaleureusement applaudies par une large partie du public.


Musicalement, le spectacle s’appuie sur une distribution de haut niveau et un orchestre en grande forme. En Nabucco, Nicola Alaimo réussit une prise de rôle convaincante : phrasé impeccable, legato exemplaire, son personnage impressionne tout d’abord par sa fierté, son autorité et ses interventions véhémentes avant de se montrer vulnérable et de faire preuve d’une humanité émouvante, rehaussée par le fait qu’il ne porte aucun costume, simplement vêtu d’une veste et d’un pantalon bleu marine, sur un plateau vide, plongé dans le noir. Riccardo Zanellato séduit en Zaccaria à l’émission ductile et au legato superbe, quand bien même le registre grave semble un peu émoussé. Saioa Hernandez livre une performance mitigée dans le rôle meurtrier d’Abigaille : sur la réserve dans la première partie du spectacle, avec des vocalises peu nettes et des aigus souvent étouffés, elle apparaît nettement plus à son affaire en fin de soirée, avec une projection insolente, des accents incisifs et des pirouettes vocales parfaitement ciselées cette fois. Ismaele ardent et particulièrement combatif, Davide Giusti semble néanmoins constamment à la limite de ses possibilités vocales, donnant l’impression de toujours chanter en force. Si sa voix sombre et corsée fait illusion au début du spectacle, Ena Pongrac en Fenena s’effondre totalement dans son grand air (« Oh, dischiuso è il firmamento ») en raison de problèmes d’intonation, d’aigus engorgés et de vocalises mal négociées.


A la tête d’un Orchestre de la Suisse Romande des grands soirs, Antonino Fogliani, qui connaît la partition sur le bout des doigts, commence par offrir une Ouverture un peu sèche avant de se rattraper avec une exécution lyrique et passionnée, extrêmement pulsante, mettant parfois en difficulté le chœur et les solistes. Christiane Jatahy a voulu terminer son spectacle par le célébrissime « Va pensiero » chanté a cappella par les choristes disséminés un peu partout dans la salle, jusqu’au dernier balcon, et toutes lumières allumées dans l’auditoire. Ces pages, qui sont devenues en quelque sorte le second hymne national italien, ont fait frissonner les spectateurs, d’autant que le Chœur du Grand Théâtre a été impressionnant de précision, de cohésion et d’intensité, tout au long de la soirée d’ailleurs. Pour assurer la transition entre cette répétition et la fin de l’ouvrage de Verdi – lequel aurait dû, rappelons‑le, se terminer par le chœur « Immenso Jéhovah », mais qui s’achève sur un air d’Abigaille, à la demande de la prima donna de la création, Giuseppina Strepponi, seconde épouse du compositeur – le chef Antonino Fogliani a composé un intermezzo symphonique d’allure chambriste et aux dissonances marquées. La pertinence de cet ajout ne saute pas aux yeux. Quoi qu’il en soit, tous les protagonistes du spectacle ont été longuement ovationnés au rideau final. Il n’empêche, on quitte la salle avec des sentiments mitigés : pas sûr que toute la technologie déployée, si spectaculaire soit‑elle, serve réellement l’opéra...



Claudio Poloni

 

 

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