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Une Norma hors norme Lausanne Opéra 06/04/2023 - et 7, 9, 11, 14 juin 2023 Vincenzo Bellini : Norma Francesca Dotto (Norma), Paolo Fanale (Pollione), Lucia Cirillo (Adalgisa), Nicolai Elsberg (Oroveso), Eléonore Gagey (Clotilde), Jean Miannay (Flavio)
Chœur de l’Opéra de Lausanne, Donato Sivo (préparation), Orchestre de Chambre de Lausanne, Diego Fasolis (direction musicale)
Stefano Poda (mise en scène, décors, costumes, lumières, chorégraphie), Paolo Giani Cei (assistant mise en scène, décors, costumes, lumières, chorégraphie)
(© Jean-Guy Python)
C’est une Norma totalement hors norme qui met un terme à la saison 2022‑2023 de l’Opéra de Lausanne, une Norma qui intrigue à plus d’un titre. D’abord par le décor original et impressionnant conçu par Stefano Poda, lequel signe aussi la mise en scène, les costumes, les lumières et les chorégraphies du spectacle, assisté par Paolo Giani Cei. Il s’agit d’un dispositif particulièrement spectaculaire, s’élevant jusqu’aux cintres et constitué de parois vitrées et de grilles métalliques qui ferment la scène sur ses quatre côtés, comme une prison. La structure se soulève et se rabaisse au fil du spectacle, parfois ne fermant que trois côtés du plateau. Elle laisse apparaître au fond de la scène une énorme lune ou, sous les cintres, les racines immenses d’un tronc géant. On voit également descendre des cintres un temple romain qui n’est pas sans rappeler le Panthéon. Chêne sacré des Celtes et lieu de culte des Romains, tout est fondé ici sur les oppositions, à l’instar de l’habile jeu de lumières très contrasté, tantôt sombres et tamisées, tantôt blanches et aveuglantes. Ou encore des costumes : de longues tenues blanches intemporelles pour les Gaulois, alors que les Romains portent des tuniques noires. Une trappe laisse apparaître Pollione, de même que les deux enfants de Norma, qui arrivent sur scène dans une boîte transparente. Ils s’amusent ensuite à composer des mots avec les lettres du prénom de leur mère : Roma, Amor... Un décor abstrait, symbolique et épuré à l’extrême pour une direction d’acteurs réduite au strict minimum, avec pour résultat un spectacle aussi statique qu’esthétisant et stylisant.
L’aspect musical de la production intrigue lui aussi. Car, en lieu en place de l’opposition habituelle entre Norma et Adalgisa (soprano et mezzo), les deux femmes ont ici des voix de soprano dont la couleur est presque similaire, sans parler de leur ressemblance physique incontestable, qui fait qu’on a parfois de la peine à les distinguer, d’autant que si Norma est vêtue de blanc au premier acte et Adalgisa de noir, c’est l’inverse qui se produit pour la seconde partie du spectacle. Vocalement, on notera qu’aucun des interprètes n’est un belcantiste à proprement parler. En Norma résolument combative et prête à tout, Francesca Dotto séduit par sa belle voix large et homogène. L’air le plus célèbre de l’ouvrage, « Casta Diva », amorcé pianissimo, est émaillé de superbes nuances, d’aigus lumineux et de vocalises bien conduites, même si la ligne et la longueur de souffle trahissent l’énorme difficulté de la partition. Malgré des aigus parfois étouffés et quelques stridences, Lucia Cirillo incarne une Adalgisa émouvante et constamment sur le qui‑vive. Mais celui qui tire le mieux son épingle du jeu, c’est Paolo Fanale en Pollione au timbre ardent et passionné, au phrasé impeccable et aux aigus généreux et rayonnants. Dans les seconds rôles, si Eléonore Gagey en Clotilde et Jean Miannay en Flavio s’acquittent avec brio de leur personnage, on n’en dira pas autant de l’Oroveso de Nicolai Elsberg, qui détonne par son timbre assez fruste et sommaire. Délaissant pour une fois le répertoire baroque, le chef Diego Fasolis, à la tête de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, insuffle élan, impétuosité et tension à la soirée, au détriment parfois des moments élégiaques qui ponctuent la partition belcantiste.
On l’a dit, une Norma hors norme à bien des égards, mais qui a été longuement ovationnée par le public de la première.
Claudio Poloni
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