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Vagues d’émotion

Paris
Opéra Comique
05/28/2023 -  et 30, 31 mai 2023
Missy Mazzoli : Breaking the Waves
Sydney Mancasola (Bess McNeill), Jarrett Ott (Jan Nyman), Wallis Giunta (Dodo McNeill), Susan Bullock (Mother), Elgan Llŷr (Dr Richardson), Mathieu Dubroca (Thomas Terry), Andrew Nolen (Councilman), Pascal Gourgand (Sadistic Sailor), Fabrice Foison (Young Sailor)
Ensemble Aedes, Orchestre de chambre de Paris Mathieu Romano (direction musicale)
Tom Morris (mise en scène), Soutra Gilmour (décors et costumes), Richard Howell (lumières), Will Duke (designer vidéo et projection), Jon Nicholls (designer son)


J. Ott, S. Mancasola (© Stefan Brion)


Composé d’après le film Breaking the Waves de Lars von Trier, l’opéra de Missy Mazzoli et Royce Vavrek créé à Philadelphie est présenté en première française à l’Opéra‑Comique. Enorme succès public dès la première représentation !


C’est en sortant bouleversé d’une projection à la télévision de Breaking the Waves, que le Canadien Royce Vavrek eut à l’âge de 14 ans l’idée d’en tirer un livret d’opéra. D’abord réticente à l’idée de dénaturer le film, la compositrice américaine Missy Mazzoli (née en 1980), première femme à avoir reçu une commande du Metropolitan Opera de New York, après un séjour à l’île de Skye dans les Highlands d’Ecosse, où fut tourné le film, accepta de réaliser le projet. L’œuvre qui fut créée en 2016 à l’Opéra de Philadelphie et reçut l’année suivante l’International Opera Award pour la meilleure création. Il a été ensuite représenté à New York et en Australie au Festival d’Adélaïde. En Europe, c’est l’Opéra d’Edimbourg qui l’a présenté le premier en 2019 en coproduction avec l’Opéra‑Comique où il connaît sa création française.


Couronné par un grand prix du jury au Festival de Cannes et comme meilleur film au Festival du film européen en 1996, le film raconte l’histoire d’un homme qui, paralysé à la suite d’un accident sur une plateforme pétrolière, demande à sa femme Bess, membre d’une stricte communauté calviniste (magistralement interprétée par Emily Watson), d’avoir des relations avec des inconnus et de les lui raconter. Inspirée par la luxuriance et la violence des paysages écossais et la rudesse de leurs habitants, la compositrice a désiré apporter à l’exploration psychologique des personnages de cette parabole une composante harmonique très forte pour en souligner la profondeur. Très bien accueilli par le public et la critique américaine après son premier opéra Song from the Uproar créé en 2012, Breaking the Waves revit dans cette coproduction européenne dans une nouvelle mise en scène de Tom Morris.


Ce magnifique spectacle, techniquement épatant, avec une direction d’acteurs et des éclairages d’une beauté saisissante, mais aussi un usage de la vidéo (Will Duke) discret mais virtuose, rend infiniment mieux justice à l’œuvre cinématographique dont elle est tirée que la production de la création américaine qui, se déroulant dans un décor unique sombre et compliqué, ne permettait pas au drame de s’épanouir et créait souvent la confusion entre les personnages et le chœur d’hommes uniformément vêtu de noir. Ce chœur, qui supplée si efficacement à l’artifice cinématographique, incarne la stricte communauté écossaise dans laquelle baigne le drame et les marins de la plateforme pétrolière sur laquelle travaille Jan. Le décor de Soutra Gilmour, installé sur un plateau tournant, permet une clarté totale et une complète lisibilité du drame qui se joue. Les costumes reflètent parfaitement l’ambiance écossaise de l’action (comme le lourd accent de certains personnages), là où la production de James Darrah à Philadelphie en américanisait terriblement l’esthétique et supprimait par un puritanisme évident la crudité de certaines scènes que ne contourne pas le metteur en scène Tom Morris.


Le découpage du livret de Royce Vavrek est d’une fidélité totale au film malgré la suppression et l’affadissement des dialogues de Bess avec Dieu, qui sont un des points capitaux du film. La musique de Missy Mazzoli est somptueuse d’un bout à l’autre, exaltant le drame et sa dimension spirituelle et rédemptrice. Les parties chantées, souvent très complexes, qui ne renient pas l’influence de Benjamin Britten, sont d’un lyrisme intense, malgré quelques rares baisses de tension quand l’action est moins dramatique, comme dans les dialogues entre Bess et le médecin qui soigne Jan. La partie orchestrale est un soutien toujours très efficace au chant et à l’action, avec un choix très pertinent d’instruments, notamment percussifs, et même d’une guitare électrique, pour souligner les climax de l’action. L’écriture de la partie chorale est certainement ce qu’il y a de meilleur dans cette foisonnante partition dans laquelle on peut cependant regretter une quasi‑ absence de l’élément marin.


La distribution réunie est d’une homogénéité et d’une qualité exceptionnelles. La Bess de Sydney Mancasola crève l’écran, si l’on ose écrire, dans ce rôle écrasant, sans verser dans l’excès, toujours maîtresse de moyens vocaux magnifiques et adaptés à la taille de la salle Favart. Le Jan de Jarrett Ott, à la projection vocale magnifique, bouleverse autant dans sa fougue de jeune époux que dans la détresse d’handicapé. Magnifique aussi la Mère de Susan Bullock, avec son accent écossais rocailleux, et l’infirmière et belle‑sœur de Bess, Dodo, d’une intensité déchirante dans les scènes où elle affronte la rigidité de la communauté. Tous les seconds rôles étaient parfaitement tenus mais c’est le formidable Ensemble Aedes qui impressionnait, dirigé de la fosse par son chef Mathieu Romano qui faisait, à la tête de l’Orchestre de chambre de Paris (avant de prochains débuts viennois), de très brillants débuts de chef d’orchestre.


Il est dommage que ce superbe spectacle ne soit que pour trois représentations à l’affiche de l’Opéra‑Comique, en espérant que ce théâtre, qui s’honore de consacrer une bonne part de sa programmation à la création, le reprogrammera lors de prochaines saisons.



Olivier Brunel

 

 

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