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Almaviva, Comte des Mille et Une Nuits.

Paris
Opéra-Bastille
04/02/2002 -  et 5*, 10, 12, 16, 18, 21, 25, 29 avril 2002


Gioachino Rossini : Il Barbiere di Siviglia



Roberto Sacca (Raul Gimènez le 5) (le Comte d'Almaviva), Carlos Chausson (Bartholo), Joyce DiDonato (Rosine), Dalibor Jenis (Figaro), Kristinn Sigmundsson (Basile), Nicholas Garrett (Fiorello), Jeannette Fischer (Bertha), Denis Aubry (Un Officier).

Choeurs de l'Opéra National de Paris, Jean Laforge (chef de choeur), Orchestre de l'Opéra National de Paris, Bruno Campanella (direction).
Coline Serreau (mise en scène)



De quoi dépend qu'un spectacle d'opéra constitue une réussite totale, surtout lorsque l'ouvrage retenu est l'un des plus rabâchés, les plus rebattus du Répertoire ? Du charisme des chanteurs, dont tous les airs, même les plus anodins, sont acclamés ? De l'originalité de la mise en scène, qui ose le clin d’œil risqué vers une actualité à haut voltage ; pratiquant en permanence dérision, et dérision en miroir ? De l'aura de grand’ prêtre d'un chef d'orchestre, bénissant Rossini urbi et orbi ? D'un orchestre et de chœurs en état de grâce ?


De tout cela un peu, et de la cohésion d'une véritable équipe, surtout ! Ce Barbier bastillais n'a pas affûté son coupe-chou dans la sérénité, pourtant. Fort vilipendée (on se demande d'ailleurs bien pourquoi, c'était une très bonne production) pour sa Chauve Souris offerte in loco en décembre 2000, Coline Serreau était attendue au coin du bois andalou.


Une œuvre courue et parcourue depuis longtemps, on l'a dit ; et dont, a priori, les capiteuses volutes ressortiraient mieux à Garnier que dans le vaste vaisseau de Bastille. Une grève bloquant le Chevalier à la Rose de la veille, qui fait craindre pour la Deuxième… Pas de Chat Noir traversant la scène - ouf ! -, mais une défection de taille : Roberto Saccà souffrant, remplacé in extremis dans Almaviva par le vétéran Raùl Gimènez. Prudence, donc.


Au lever de rideau, la place de Séville s'est quelque peu déportée vers l'Orient : une steppe dans l'Asie centrale, des collines de carton-pâte voulu et assumé ; et, au premier plan, une forteresse à meurtrières (donc : européenne), avec un balcon à moucharabieh.


Coline Serreau n'a pas résisté à l'appel de d'Islam : se souvenant que l'Andalousie fut arabe pendant des siècles, que le tchador fut porté par les Belles de Cadix ; et que certaine actualité a sorti les... Barbiers du chômage, à Kaboul ou Qandahar. C'est très joli, avec ce ciel étoilé, et cela fonctionne plutôt bien - mais on redoute tout de même le pire : une dissertation référencée et pesante de plus, collée sur un ouvrage qui n'aurait rien à voir.


Surtout lorsque pour sa première apparition, Rosine exhibe le voile intégral - une manière de bourka de rigueur chez les musulmans intégristes ! La sérénade du Comte Almaviva - déjà orientalisante en soi, merci à Coline Serreau de nous le rappeler - en a pris un côté all'arabica que ne contrarie pas la tenue de Papatacci. Pourtant, on sent à quelques trompe-l'oeil (danses ridicules des choristes) que la « metteuse » en scène feint d'y croire.


A la recherche plutôt d'un argument cohérent ; et témoignant au n-ième degré, pour une partition qui tourne en dérision (en pochade) ce fait social amer et intemporel : l’enfermement. Des moudjahiddine du peuple - mais oui ! - ont accompagné un inquiétant Fiorello au pied de la bâtisse.


Figaro débarque après le Comte, comme un marchand de camelote, plutôt qu'un entremetteur. Avec une inénarrable tenue acidulée de vente à la sauvette au marché de Vintimille, et une boîte de Pandore - qui en font un croisement de Goro, Papageno et Dulcamara...! Autour de ces intrigants, se meut tout un système de personnages et d'accessoires, pour un Orient d'opérette à la sauce afghane.


Rosine est en babouches, exhibe une lettre, genre catalogue de Leporello chez Losey ; et s'affranchit in fine de la tunique corsetée…après avoir tout cassé chez son tuteur, comme l'Aminta de la Femme Silencieuse de Strauss. Bartholo est un taliban bien barbu et bien irascible, avec un jeu de clés à la Barbe-Bleue. Basile, une espèce de grand épouvantail, barbu aussi - tandis que Bertha en rajoute sur les sangles et les colifichets.


La deuxième partie du I (à partir de « Una voce poco fa ») nous vaut un intérieur de demeure cossue avec patio et mezzanines, où Serreau n'a omis aucun des succulents détails qui font les délices des couscousseries - ah ! la petite fontaine centrale ! La Garde qui fait irruption est, bien sûr, une escouade de rebelles montagnards.


Le II se déroule dans un salon de Bartholo très rouge et ocre, cadre de la Leçon de Musique, avec… clavecin portatif pour grand voyageur. Salle qui s'ouvrira, côté cour, vers la liberté et le grand air, lors du Finale totalement déjanté : jouant la Bande Dessinée (l'irruption de la palmeraie), et le happy end de série B avec sa promesse de chaudes étreintes au cœur de cette Oasis dans le désert.


Chaque protagoniste surenchérit avec maestria sur un ordonnancement comique - de situation comme de caractère - qui sait son théâtre, et ses effets. A distance idéale de la surcharge inutilement trépidante (Dario Fo, Garnier 1992), ou de l'insipide chromo aux artifices de bonne famille (Vizioli, TCE, 2001). Ne manqueront pas ceux qui tanceront Coline Serreau de faire du rire avec le sort des femmes musulmanes. Ils auront tort : il est des coupes réglées au cordeau de l’humour, qui peuvent rendre mieux que bien des discours, l’absurdité de l’asservissement et de la tyrannie.


Notre Lindor-Almaviva, Raùl Giménez, est donc un coutumier de Rossini. Le garçon a un perdu de sa netteté et de sa sûreté dans l'aigu : on l'avait déjà constaté dans l'écrasant rôle d'Orphée (de Haydn), naguère au Châtelet. Par contre, le moelleux et les nuances sont toujours aussi sensationnels - surtout pour un remplacement au pied levé dans une scénographie pas facile, mais alors pas facile du tout - et truffée de gags. Mieux : à peine si l'on ressent une imperceptible fatigue, à mesure que l'opéra progresse, dans cette voix somme toute bien à sa place chez les « baryténors » (comment oublier ses Argirio de Tancredi ?).Et portant encore fort beau le cimeterre d’un Comte des Mille et Une Nuits !


Dalibor Jenis, jeune homme à la carrière fulgurante, qui fut Eletski (La Dame de Pique) sur ce plateau l’an dernier, incarne Figaro. La célébrissime Cavatine, avec une vaillance et une volubilité impressionnantes, constitue un avant-goût du festival que le Slovaque nous réserve. Pas un duo, pas un ensemble - pas un récitatif même - qui ne soit marqué du sceau de l’emploi : un entremetteur chantant d’autant plus beau, souverainement doit-on dire (avec, à l’inverse de Giménez, des aigus de jeune premier) - que ses actions sont à l’image de son costume : en toc. Une démonstration.


On continue de se régaler avec les deux autres « clefs de fa ». Carlos Chausson, encore un expert, n’a rien perdu en Bartholo de ses dons « defunésiens » pour la comédie ; pas plus que son chant n’a pris de ride sur l’agilité, qui est transcendante. On ne lui tiendra donc pas rigueur d’un infinitésimal loupé de synchronisme avec Campanella, sur la reprise de « A un dottore della mia sorte » : peccadille !


Résidant pour ainsi dire à demeure à l’Opéra National de Paris, Kristinn Sigmundsson se surpasse en Basile. Bien plus à l’aise avec ce type de belcantisme qu’avec Haendel (triste Roi d’Écosse dans un triste Ariodante), l’Islandais fait flèche de tout aboi ; tant il crie, éructe, vocifère et cabotine, avec la délicieuse surcharge qu’on est en droit d’exiger.


Fort habile comédien de surcroît, tout comme Jeannette Fischer (Bertha, alias Marcelline), qui elle aussi en empile des « tonnes » dans son air. Rendu par le chef comme par elle à son statut si agréable - et si souvent massacré ! - d’air de sorbet rossinien typique : spirituel et piquant (comme Isaura dans Tancredi, par exemple). Fiorello (Nicholas Garrett), l’Officier, les choristes : tous sont à louanger.


Pour la bonne bouche - et pour conclure : soulignons les deux points forts d’un ensemble musical homogène et solidaire au plus haut niveau : « la » Rosine, et la direction d’orchestre. Joyce DiDonato commence donc à Paris, après un début de carrière déjà nourri de Rossini, Haendel, Mozart, Offenbach, Poulenc... D’une présence scénique rayonnante, l’Américaine est une révélation : à son port si gracieux, au buste épanoui et fier, répond un chant à qui tout réussit.


Dans son rôle, disons-le tout net, on n’a pas entendu tel bonheur depuis Berganza et Bartoli - mais avec une voix beaucoup plus ample que ces dernières ! Ronde et chaude, sensuelle, elle se pose sur les graves les plus périlleux sans déplaisant poitrinage. Elle parcourt tout un médium magnifique et projeté avec insolence, pour terminer sur des aigus fermes, assurés ; et tout simplement : beaux. A Paris, c’est une claque pour l’inexistante Polverelli (2001) et une Larmore déjà mi-figue, mi-raisin (1992).


Comble de bonheur, elle est une belcantiste émérite et convaincue, usant avec une intuition et un goût sans pareils de trilles, appogiatures et autres mignardises, dans tous ses ensembles. Le « Contro un cor che accende Amor » est à graver en notes d’or dans les Annales, vraiment ! Savoir qu’on doit la retrouver (en principe) à Garnier, avec La Cenerentola aux côtés de Juan Diego Flórez, et c’est déjà Noël avant l’heure…


Enfin : Bruno Campanella. Ce chef n'est un novice, ni de la direction d'orchestre, ni du répertoire requis. Depuis La Fille du Régiment au Comique en 1987, beaucoup de Donizetti, Bellini et Rossini parisiens lui ont été confiés - on reconnaît donc ici l'enfant de la balle. Quelques accords de l'Ouverture suffisent pour que le ton soit donné : Chantilly pour tout le monde !


Une découpe à la Lenôtre de vents très mousseux, des glissandi irrésistibles, tel un coulis de fruits rouges ; des violoncelles en pain d'épices, et du crescendo rossinien pur sucre, pour le socle. Nappez de tempi sages et onctueux comme du pralin ; songez aux clous de girofle des notes détachées - et servez avec le plus grand naturel. Du très grand art : ovation d'emblée, les fines bouches ont apprécié ! Le reste est à l’avenant, avec une tenue et une clarté admirable des ensembles, une licenza sans abus accordée aux chanteurs ; et une gradation de dynamique à damner un saint…


Grâces lui soient rendues de nous ébaudir, au continuo, avec un merveilleux clavecin plein de malice ; quand des Mozart d’à peine trente ans antérieurs nous sont aujourd’hui imposés par d’aucuns, avec des soliloques interminables de pianoforte intempestif. On pensait le Finale du Barbier un peu platounet (toujours pas de « Cessa di più resistere » ici, d’ailleurs) : on n’avait simplement pas entendu le cru parisien, Campanella 2002. Revenez vite, Maestro, nous redonner de tels Barbieri di qualità, di qualità, di qualità...



A l'occasion de la captation par France 3 de cette production, Dimanche 21 Avril, presque toute cette équipe a de nouveau convaincu. Il faut noter en effet que Roberto Saccà, en titulaire du rôle d' Almaviva, s'est montré - eh oui - bien moins ébouriffant que son remplaçant Raùl Gimènez ; si idoine lors de la Deuxième. Ses aigus plutôt laids, ses difficultés à vocaliser au I, et son jeu balourd de piètre comédien ont souffert de la comparaison ! Qu'importe, le torrent de musique et de vitalité s'est imposé face aux caméras, devant un public aux anges. Réservant une ovation à Coline Serreau ; qui avec Jenis, Chausson et Sigmundsson disposait encore de trois grands hommes sur un coup plutôt fin. J.D.


Jacques Duffourg

 

 

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