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Qualité française Limoges Opéra 05/12/2023 - et 14, 16 mai 2023 Jules Massenet : Cendrillon Hélène Carpentier (Cendrillon), Héloïse Mas (Le Prince charmant), Julie Pasturaud (Madame de La Haltière), Matthieu Lécroart (Pandolfe), Marie‑Eve Munger (La fée), Caroline Jestaedt (Noémie), Ambroisine Bré (Dorothée), Edouard Portal (Le Roi), Stéphane Lancelle (Le doyen de la faculté), Fabien Leriche (Le Premier ministre), Jamie Rock (Le surintendant des plaisirs), Xavier van Rossom (Héraut), Marine Boustie, Cecilia Mazzufero, Andréa Adhumeau Gazeau, Floriane Duroure, Johanna Giraud, Agnès De Butler (Esprits), Cécilia Emmenegger, Lola Janan, Laureline Richard, Vincent Blanc, Matteo Ceccarelli, Matthieu Coulon, Adama Tibiri (danseurs du Centre chorégraphique de Nantes)
Chœur de l’Opéra de Limoges, Arlinda Roux Majollari (direction), Orchestre de l’Opéra de Limoges, Robert Tuohy (direction musicale)
Enzo Toffolutti (mise en scène, décors, costumes, lumières), François Bagur (remontage à Limoges), Ambra Senatore (chorégraphie)
H. Mas, H. Carpentier, M.‑E. Munger (© Steve Barek)
Cendrillon revient de loin. L’œuvre a subi un long purgatoire, totalement absente des théâtres de 1910 à la fin des années 1970, surtout occultée par l’œuvre jumelle de Rossini (à tel point que l’Opéra du Capitole de Toulouse propose l’ouvre rossinienne l’an prochain sous le nom de Cendrillon, et pas La Cenerentola). Sous l’impulsion de la mezzo américaine Frederica von Stade à la fin des années 1970, avec un enregistrement de studio à la clé en 1978, puis grâce à Joyce DiDonato, avec la mise en scène de Laurent Pelly au MET et à Barcelone au cours des années 2000‑2010, l’œuvre de Jules Massenet, créée en 1899, a repris la place qu’elle mérite dans les programmations, si bien qu’elle est enfin entrée au répertoire de l’Opéra de Paris en 2022, avec une distribution où cependant les chanteurs francophones brillaient globalement par leur absence. Et enfin le Prince charmant, trop longtemps confié à un ténor, est rendu à un mezzo, qui lui donne tout son sens, le mettant en parallèle et à égalité avec Cendrillon sur le plan vocal comme sur le plan dramatique.
La mise en scène d’Ezio Toffolutti a été étrennée à Angers‑Nantes en 2018. Nancy a ensuite proposé une production de David Hermann, centrée sur l’esthétique de l’Ecole de Nancy, berceau de l’Art nouveau, très lié avec l’esprit de l’œuvre, en 2019. L’Opéra de Limoges prévoyait de suivre cette lancée en mars 2020, mais la production a été stoppée net par la pandémie à la fin des répétitions, et il a fallu à Alain Mercier et à son conseiller Josquin Macarez bien de la ténacité pour réussir à la reproposer trois ans après, avec quelques ajustements de distribution : Florie Valiquette, Jodie Devos et Lionel Lhote n’ont pas pu rester dans l’aventure. Mais l’œuvre nous est enfin offerte dans la maison limousine.
Cette Cendrillon est assez méconnue (une seule intégrale de studio est disponible, outre le DVD avec Joyce DiDonato), comme une bonne part de l’œuvre de Massenet, dont on n’a longtemps retenu que Manon et Werther. Et pourtant, au‑delà même de ses trésors orchestraux (comme dans Manon, Massenet s’amuse à pasticher la musique du XVIIIe siècle, notamment pour moquer l’ambition aristocratique de la marâtre, Mme de La Haltière, et les deux œuvres entretiennent des liens assez étroits même, avec de petites citations textuelles), elle s’impose d’abord par son livret, original et passionnant. D’abord, parce qu’Henri Cain et Paul Collin sont fidèles en grande partie au conte de Perrault, quand Rossini et son librettiste Ferretti évacuent le surnaturel, et même la pantoufle de verre. L’époque fin de siècle laissait encore une grande place à la féerie, notamment grâce à l’apparition de l’électricité au théâtre et dans les mises en scène, et le livret fait la part belle au personnage de la Fée marraine, tandis que l’influence shakespearienne oriente une partie de l’œuvre vers le rapport entre rêve et réalité, et même entre réalité et représentation : comme dans le Songe d’une nuit d’été, tous les personnages (dans la version initiale, car seul Pandolfe le fait encore dans la version habituellement jouée) en introduction comme en conclusion demandent l’indulgence du public et l’incitent à accepter la part du rêve (« Pour échapper au noir des choses trop réelles, Laissez‑nous vous bercer de récits merveilleux. Oubliez, pour un temps, les chagrins, les querelles, redevenez enfants, croyez au fabuleux, plaignez bien Cendrillon, aimez la bonne fée, redoutez les lutins de la lande sacrée, et soyez indulgents; on jouera de son mieux pour vous faire envoler par les beaux pays bleus ! »).
Mais au‑delà de ce caractère naïf et du respect du merveilleux inhérent au conte, l’innovation de ce livret réside dans le développement du personnage du Prince. Celui‑ci est assez falot dans le conte initial, et a une existence au mieux symbolique dans la plupart des adaptations, où son valet (Dandini chez Rossini) joue un rôle de faire‑valoir finalement plus important. Chez Cain et Collin, le Prince est mis sur un pied d’égalité avec Cendrillon : quasiment dépressif, il souffre de ne pas connaître l’amour, et ses émois entrent en résonnance avec ceux de Lucette, qu’il partage. Leur rencontre devient alors une vraie rencontre amoureuse, plutôt qu’une simple occasion d’ascension sociale pour la fille délaissée par son père ou orpheline, selon les versions. De sorte que le parallélisme des voix féminines prend tout son sens, et se voit détruit quand par réalisme on impose indûment un ténor dans le rôle.
Ezio Toffolutti est costumier, décorateur, et a réglé aussi les lumières de ce spectacle créée en 2018, et remonté à Limoges par François Bagur. Pour les décors, il prend le parti d’utiliser des toiles peintes, à l’ancienne, dans lesquelles s’ouvrent des portes réelles qui semblent elles‑mêmes fausses. C’est ainsi qu’il nous guide à travers une narration qui mêle le surnaturel au réel, le rêve à la réalité. La chambre chez Madame de La Haltière au premier acte est peinte d’un camaïeu de beige, et si on repère bien immédiatement le foyer, mis en valeur au centre, et comme démesurément étiré vers le haut, on remarque ensuite des hublots en guise de fenêtres et comme l’ombre du pont d’un grand paquebot, et les bas‑reliefs du décor montrent des vagues peintes en abyme sur des tréteaux. Le second tableau du troisième acte, chez la Fée, se déroule dans la même chambre, où apparaissent des arbres en partie peints. Chez le roi, la salle des fêtes du palais est géométrique, toute de noir et de blanc, la partie haute formée de colonnes peintes, oppressantes, et au centre trône un îlot formé de cloisons qui cachent un chapiteau de colonne corinthienne posé à l’envers, où le Prince passe une bonne partie de son temps (il semble symboliser une sorte de déséquilibre intérieur du prince). Le rideau de scène, visible à l’entrée dans la salle, représente un mur zébré par une fissure, qu’une sorte de pantoufle stylisée va parcourir ; plus tard, à l’acte IV, sur la terrasse de Cendrillon, quand le printemps est appelé par les voix des jeunes filles, de petits arbres se mettent à y pousser : vision naïve et non dénuée de charme, cette fissure symbolise la voie par laquelle les émotions vraies de la petite orpheline vont fracturer le monde sclérosé et pétrifié du roi et des aristocrates (le roi est engoncé assis dans une cape dorée dont il semble ne pouvoir sortir). La Fée, toute dorée, jusqu’à son visage et ses cheveux, apparaît à la sixième scène du premier acte, pendant le sommeil de Cendrillon, dans un baquet doré, orné d’une sorte de bulle de savon nacrée ; elle se nettoie le corps avec une brosse dorée qui lui servira de baguette magique et même de baguette de chef quand, à la toute fin de l’œuvre, elle réapparaît dans la fosse aux côtés du chef d’orchestre. Un lumignon clignote au bout de cette brosse, ainsi que dans les mains des Esprits, masqués et vêtus de haillons les faisant ressembler à des lépreux. La grande trouvaille du costumier Toffolutti est de parer toutes les femmes aristocrates, de Mme de La Haltière et ses filles aux courtisanes et prétendantes du Prince, de robes à paniers sans tissu, laissant voir leurs dessous, dénonçant ainsi leur vanité. Les lumières variées, du bleu du rêve aux contre‑jours pleins d’ombres menaçantes, permettent l’élaboration d’ambiances prenantes et suggestives. Les chorégraphies assez nombreuses d’Ambra Senatore ne permettent pas toujours de donner de la fluidité aux mouvements de foule, même si la danse mécanique des courtisanes au deuxième acte en fait de curieux et réjouissants canards hors de l’eau. Les Esprits qui entourent la Fée ont plus d’à‑propos, comme les deux danseurs qui les accompagnent et déroulent régulièrement un long tapis étroit sur le quel Cendrillon va s’endormir. L’interpénétration du surnaturel, du symbolique, du songe et du réel donne au spectacle tout son sel, et permet aux tableaux où apparaît la Fée comme aux duos amoureux entre Cendrillon et le Prince d’atteindre l’objectif d’émouvoir, quand bien même on espérait une meilleure fluidité de mouvement pour les chœurs comme pour les danseurs.
Mais la Cendrillon de Massenet vit et meurt en fonction de la qualité musicale et vocale développée en fosse et sur scène, et on peut dire que, sur ce plan, nous avons été comblés. De retour dans la fosse de l’Opéra de Limoges où il a officié durant dix ans, Robert Tuohy opte d’abord pour des tempi très mesurés quand d’autres font du premier acte un vrombissant tourbillon. Mais au fur et à mesure qu’on avance dans l’œuvre, le style épuré du chef irlando-américain fait son effet. Il maîtrise tous les équilibres, entre fosse et plateau, entre les chanteurs en duo ou lors des ensembles (réglés à la perfection), et entre les scènes, créant un arc dramatique parfait, resserrant le drame au fur et à mesure de son avancée, donnant aux plus grands moments un relief saisissant, tissant un tapis de cordes frémissantes sous les voix des amoureux qui se marient, caressant les ombres et lumières de la scène avec des volutes de bois d’une insondable élégance, joignant aux pastels des toiles peintes ceux d’un orchestre diaphane. Grâce à lui, et à l’orchestre de l’Opéra de Limoges, dont le hautbois et la flûte se mettent particulièrement en valeur, la soirée de première prend un tour mémorable que les voix réunies ne vont pas démentir. Seule la grosse caisse, parfois, dépasse le volume sonore de l’orchestre.
Car Josquin Macarez a su réunir un plateau vocal d’une qualité et d’une homogénéité rares, sans lequel une telle partition ne peut que perdre de sa substance. On note l’excellence du chœur des Esprits, dramatiquement et vocalement superlatifs, et parmi les rôles d’appoint on remarque le ténor de caractère joyeusement troussé de Stéphane Lancelle en Doyen de la faculté acide, et les belles voix de basse de Fabien Leriche dans le court rôle du Premier ministre, et d’Edouard Portal en Roi. Les deux pestes incarnées par Caroline Jestaedt (Noémie) et Ambroisine Bré (Dorothée) ne manquent ni de piquant ni d’éclat, idéalement appariées.
C. Jestaedt, J. Pasturaud, A. Bré, M. Lécroart (© Steve Barek)
Honneur au seul rôle masculin d’importance, perdu dans cette histoire où règnent les voix féminines : Matthieu Lécroart est un Pandolfe de beau relief, émouvant jusque dans sa faiblesse. Sa voix de basse claire typique d’opéra-comique, parfaitement articulée (jusqu’aux diérèses du « i ») et projetée, reconnaissable dans les ensembles, et idéalement posée dans les fréquents moments a cappella, est d’une grande égalité sur tous les registres, avec un aigu toujours très mixé. Sa caractérisation du père aimant et lâche de Lucette s’appuie fortement sur le texte, avec des nuances toujours à propos et son portrait du mari marri et dominé exprime toutes les nuances de la désolation. On ne lui reprochera qu’un manque de métal dans le timbre pour s’accorder idéalement à celui d’Hélène Carpentier, et un éventail de couleurs un peu chiche pour la cantilène du troisième acte (« Viens, nous quitterons cette ville »).
Sa commère, Julie Pasturaud, est simplement magnifique en Madame de La Haltière. Alors qu’on offre souvent le rôle à des vedettes vieillissantes qui en accentuent les contrastes avec un excès malvenu, la mezzo française ponctue toujours les fins de phrases avec délicatesse, et n’abuse jamais du poitrinage pour accentuer les effets. Sa voix au timbre lumineux, très fluide et égale du grave à l’aigu, lui permet des vocalises nettes et des trilles parfaits, de sorte que c’est un portrait riche d’une multitude de pleins et déliés qu’elle nous offre de cette mégère qu’on adore détester. Qui sait aujourd’hui comme elle vocaliser dans un sourire comme dans « Qu’on introduise ces artistes » ? Bien entendu, sa vis comica est indéniable, et elle croque les lubies de l’aristocrate prétentieuse avec malice et gourmandise : « Deux ou trois maîtresses de roi » est d’un effet comique impayable, dans l’air « Lorsqu’on a plus de vingt quartiers ». Gageons qu’on offrira plus souvent à cette artiste des rôles de premier plan, qu’elle est manifestement capable d’endosser brillamment.
Massenet n’a pas rendu la tâche facile à ses sopranos. En effet, le rôle du Prince, dévolu souvent à un mezzo, est prévu pour « falcon ou soprano de sentiment », de sorte que Lucette, le Prince et la Fée sont toutes trois dotées d’un ambitus vocal assez proche et très étendu, avec notamment un grave étonnamment sollicité pour ce qui est de Lucette et la Fée, ce qui est inattendu. Bien sûr, leurs couleurs vocales doivent être assez différenciées.
Marie‑Eve Munger nous a laissé pantois. Son incarnation de la Fée est si aisée sur le plan vocal qu’elle semble pouvoir se concentrer sur le jeu d’actrice, avec des attitudes faciales particulièrement étudiées. Mais quelle fête vocale ! On a rarement entendu un soprano à la technique si sûre qu’elle se laisse totalement oublier, de sorte que le spectateur peut se laisser aller à goûter sans modération aux vocalises ébouriffantes, aux trilles battus et bouclés, aux délicieuses notes piquées, aux dentelles de suraigu, le tout agrémenté d’un grave solide, sans craindre aucune stridence dans aucun registre. A son entrée, on est d’emblée frappé par le contrôle exceptionnel du suraigu, doublé d’une diction remarquable (« comme l’haleine d’une fleur, vient de monter jusqu’à mon cœur »). La soprano québécoise nimbe son timbre de mystère dans « Ames ou follets, fugitives chimères », elle incarne littéralement ce personnage surnaturel qui tire les ficelles du drame avec un sourire énigmatique. Chapeau !
Le couple d’amoureux, lui, doit briller individuellement et aussi dans les duos langoureux qui forment le cœur de l’ouvrage. Héloïse Mas, dans un splendide costume Empire bleu, avec toupet et rouflaquettes d’époque, est parfaitement crédible en jeune homme mélancolique que l’amour embrase. Son timbre d’ambre clair est somptueux, et elle aussi sait lier le son au texte de façon parfaite, les nuances qu’elle distille révélant les affres de la psyché du Prince. Son premier air, « Cœur sans amour », donne toute la mesure de son talent : quand son Prince câline désespérément le drap qui le cachait d’abord au monde, comme s’il s’agissait d’un corps, le double piano de « mais je vis triste » se charge d’une insondable douleur, et le galbe de « toutes les nuits » décrit magnifiquement la vulnérabilité de ce jeune homme étranger au monde qui l’entoure. L’affliction de « Suis‑je fou ? » quand Cendrillon s’enfuit du bal, la désolation de « Printemps sans rose » s’appuient sur un legato d’école, une diction sans faille, et une émission parfaitement contrôlée, qui permet à la mezzo franc‑comtoise de colorer son chant de façon exemplaire. En parfaite musicienne, elle fait sentir la reprise de la mélodie de « Cœur sans amour » dans « Il faudra donc que rien n’apaise ma douleur » quand le Prince voit les prétendantes essayer la pantoufle.
Ce portait majeur est rejoint par celui qu’Hélène Carpentier. La soprano picarde nous a ébahis en Cendrillon. Sa présence scénique, la qualité de son phrasé, de sa diction, sa maîtrise absolue de l’ambitus du rôle, sa technique accomplie qui lui permet des vocalises aisées, l’intensité émotionnelle de l’incarnation l’imposent d’emblée comme la meilleure titulaire possible du rôle aujourd’hui. Quel travail sur la longueur du souffle, qui arrondit les fins de phrase avec grâce ! Quel abandon dans « Résigne‑toi, Cendrille » au premier acte ! Quel diminuendo dans « je suis le rêve » au bal... Sa maîtrise totale des données du rôle éclate dans une scène du retour du bal magistrale : la délicatesse de « quel effroi » montre une palette de nuances quasi infinie, la tendresse absolue qu’exprime alors la reprise de « Résigne‑toi » en messa di voce étant parfaitement équilibrée par l’angoisse exprimée dans « A l’heure dite je fuyais parmi les noires avenues », rehaussé par les jeux d’ombres de Toffolutti, et par les éclats fortissimo de « reprends courage ! » qui ne manquent pas de largeur d’aigu. Et la scène où Cendrillon décide de fuir est au même niveau : pas une phrase qui échappe à un dosage parfait de la gradation des émotions, le déchirement intérieur de « Ah comme on aime ce que l’on quitte » jusqu’aux aigus dardés de « J’irai mourir sous le chêne des fées ! » Le jeu naturel de la soprano, aussi crédible dans ses haillons gris que dans sa robe blanche de style Empire, et la direction d’acteurs, achèvent de faire de ces scènes de grands moments de théâtre chanté, rejoints au sommet par les duos.
Car les timbres de la soprano et de la mezzo sont idéalement appariés, leur métal se conjuguant dans un éclat merveilleux. La scène de la rencontre est un moment de grâce absolue, les mille nuances de « Vous êtes mon prince charmant » répétés à l’envi par la soprano s’accordant idéalement aux ombres diaphanes de la voix de la mezzo. « Eh ! bien... laisse ta main dans la mienne pressée », subtil écho de Manon, n’est qu’un hors‑d’œuvre avant le retour de flamme que constitue la scène du chêne des fées, dans l’atmosphère mystérieuse créée par les lumières ouatées de Toffolutti : deux voix sororales s’enlacent de façon purement idyllique, formant un duo extatique, « Je suis Lucette qui vous aime », « Je vous implore à deux genoux » fusionnant dans un « Laissez‑moi le/la revoir » sublime, jusqu’aux phrases si osées pour l’époque : « Sa/Ta chère voix d’extase me pénètre... Mais l’entendre hélas! c’est trop peu! », d’une sensualité troublante.
Le sommet de l’œuvre est ici le sommet d’une représentation qui atteint au mémorable. Quand un compositeur est ainsi servi par une équipe parfaitement homogène, et que leur travail atteint ce fini de l’expression, ce cousu main, lors d’une première, et qu’en plus on constate que tous (sauf Munger) faisaient à Limoges leur prise de rôle, on ne peut que se considérer chanceux d’avoir pu assister à un moment si merveilleux. Mais après tout, c’est là le propre du conte.
Philippe Manoli
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