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Sir John à l’hôpital Lille Opéra 05/04/2023 - et 7*, 9, 11, 14, 16, 19, 22, 24 mai 2023 Giuseppe Verdi : Falstaff Tassis Christoyannis (Falstaff), Gabrielle Philiponet (Alice Ford), Julie Robard‑Gendre (Meg Page), Silvia Beltrami (Mrs Quickly), Clara Guillon (Nannetta), Gezym Myshketa (Ford), Kevin Amiel (Fenton), Luca Lombardo (Dr Caius), Loïc Félix (Bardolfo), Damien Pass (Pistola)
Chœur de l’Opéra de Lille, Mathieu Romano (chef de chœur), Orchestre national de Lille, Antonello Allemandi (direction)
Denis Podalydès (mise en scène), Eric Ruf (décors), Christian Lacroix (costumes), Bertrand Couderc (lumières)
T. Christoyannis (© Simon Gosselin)
Certaines informations glissées dans les programmes nous étonnent parfois. Celle‑ci, par exemple : Falstaff (1893) n’avait plus été monté à l’Opéra de Lille depuis 1980, une absence tout de même assez longue pour cet ouvrage du grand répertoire. Dans la mise en scène de Denis Podalydès, l’action se déroule dans un hôpital, une transposition qui fonctionne plutôt bien. Les commères, des infirmières, évidemment, soignent les patients, le Docteur Caius se penche au chevet de Sir John, alimenté en vin par une sonde, tandis que la pharmacie est tenue par Ford. La fin du deuxième acte se tient dans la blanchisserie où l’incorrigible coureur de jupons trouvera à se cacher dans un chariot.
Tout se passe entre les murs de l’établissement de soin, même la scène de la forêt dont le caractère sylvestre est suggéré par des lumières verdâtres. Par son intelligence et son habilité, le metteur en scène prend garde de ne pas sauter à pieds joints dans les clichés trop éculés attachés à ce bouffon et à cet opéra, mais l’essentiel – la caractérisation des personnages, la vitalité – subsiste bel et bien grâce à des intentions claires et à une conception cohérente du spectacle. Les chanteurs se plient avec un plaisir communicatif à une direction d’acteur remarquable de naturel et précision.
Denis Podalydès ne se trompe donc pas de sujet. Il développe des idées justes, sur le personnage principal, en particulier, un être paradoxal, mais humain et attachant, et exploite, sans fioritures, tout en évitant, de justesse, les facilités et la vulgarité, les ressorts comiques de ce livret décidément parfait, à défaut de révéler toute la dimension fantastique de la dernière scène. Celle‑ci paraît toutefois assez originale dans cette production gentiment irrévérencieuse : sur la table d’opération, Falstaff se voit libéré de son postiche, dans lequel se trouvaient même quelques livres, que sans doute il dévorait, et, sans sa grosse bedaine, semble retrouver vigueur et jeunesse. Amusante et réussie, la mise en scène du sociétaire de la Comédie-Française dépasse en intérêt et en dévergondage, malgré les murs grisâtres de cet hôpital, celle qu’il avait imaginée pour Le Comte Ory, déjà avec le concours de Christian Lacroix et d’Eric Ruf pour les décors. En tout cas, ce n’est pas grâce à cette production que nous retiendrons la contribution du célèbre couturier à l’opéra : ses costumes évoquent, simplement, le milieu du siècle dernier.
Dans cet opéra, le collectif doit primer, sans évidemment négliger le chant, et la distribution, solide et assez homogène, répond à cette injonction, bien que certaines voix se détachent mieux que d’autres. Tassis Christoyannis concrétise admirablement les intentions du metteur en scène. Son Falstaff, juste et irrésistible, vocalement merveilleux, reste digne, même les – fausses – fesses dodues à l’air. L’excellent baryton grec, talentueux comédien, ne manifeste aucune difficulté apparente à fixer les contours généreux de son personnage dans lequel il se montre convaincant, et vraiment drôle, dans n’importe quelle situation.
La plupart des autres chanteurs incarnent brillamment leur personnage tout en s’intégrant avec naturel dans les ensembles, tous exécutés quasiment à la perfection, avec toute la fluidité requise. Parmi les commères, une se démarque, la Quickly vraiment excellente de Silvia Beltrami, malgré les mérites de Gabrielle Philiponet en Alice Ford et de Julie Robard‑Gendre en Meg Page. La Nannetta de Clara Guillon séduit par sa fraîcheur, la légèreté juvénile de son timbre, bien plus que le Fenton à la voix peu gracieuse de Kevin Amiel qui joue un personnage benêt, voire clownesque. Le chant au service du théâtre, voilà ce qu’a compris Gezym Myshketa, qui campe un Ford vocalement de haute tenue et au tempérament un peu plus bouffe qu’à l’accoutumée. La voix serrée et maigre de Luca Lombardo échoue par contre à séduire, en dépit d’une caractérisation correcte du Docteur Caius. Loïc Félix et Damien Pass, enfin, livrent tous deux, en Bardolfo et Pistola, une honorable prestation, à l’efficacité immédiate.
La fosse réjouit autant que le plateau. Sous la direction compétente et inspirée d’Antonello Allemandi, l’Orchestre national de Lille attire souvent l’attention pour sa finesse, sa précision et son dynamisme, sans oublier son sens de la nuance et la beauté de ses sonorités. Le chef et l’orchestre ont, eux aussi, réussi leur Falstaff.
Sébastien Foucart
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