|
Back
Emotion pure Lyon
Auditorium - Orchestre national de Lyon
05/03/2023 -
Andréane Détienne : Toi que je rencontre encore – Souvenir
Gabriel Fauré : Romance pour violoncelle et piano en la majeur, opus 69
Gustav Mahler : Rückert-Lieder : 5. « Liebst du um Schönheit », 2. « Ich atmet’ einen linden Duft » & 4. « Um Mitternacht » (arrangement Christian Favre) – Quatuor avec piano
Richard Wagner : Wesendonck-Lieder : 3. « Im Treibhaus », 4. « Schmerzen » (arrangements Christian Favre) & 5. « Träume » (arrangement Leopold Auer) – Tristan und Isolde : « Mort d’Isolde » (arrangement Christian Favre)
Cécile De Boever (soprano), Florent Souvignet-Kowalski (violon), Vincent Dedreuil‑Monet (alto), Themis Bandini (violoncelle), Pierre Thibout (piano)
F. Souvignet-Kowalski, P. Thibout, V. Dedreuil‑Monet, C. De Boever, T. Bandini (© Emmanuel Andrieu)
C’est un concert placé sous le signe de l’émotion qu’a proposé l’Auditorium - Orchestre national de Lyon (communément appelé l’AO) à son fidèle public (avec plus un taux de remplissage supérieur à 85 % nous avouait avec beaucoup de fierté, deux heures plus tôt lors de la conférence de presse de présentation de la saison 2023‑2024, Aline Sam‑Giao, directrice générale et artistique de l’institution lyonnaise) : une émotion provoquée par le choix du programme, bien sûr, donné sans entracte et avec quelques‑unes des pièces parmi les plus poignantes du répertoire germanique postromantique, mais aussi la présence sur scène de l’une de nos rares sopranos nationales (aux côtés de Catherine Hunold et France Dariz) à posséder la largeur et la puissance de voix nécessaires pour défendre ce répertoire particulièrement exigeant et difficile – et l’on se rappelle avec des frissons l’intense Brünnhilde que la soprano française avait interprétée en 2011 lors de la tournée d’une Tétralogie (en version « réduite ») dans laquelle on l’avait entendue faire fi de ce rôle écrasant.
Mais en guise de tour de chauffe et début d’agapes, c’est avec deux mélodies de la compositrice française Andréane Détienne (née en 1971) que débute la soirée, avec Toi que je rencontre encore sur un poème de Roger Kowalski et Souvenir sur un poème de Marceline Desbordes-Valmore. Deux mélodies très émouvantes et poétiques, dont le texte comme la musique évoquent les grands représentants du genre, de Fauré à Hahn, et dans lesquels la voix de Cécile De Boever – après qu’elle a pris le temps de se chauffer pour se débarrasser du vibrato toujours un peu envahissant au début (mais inhérent à ce type de voix) –, remplit sa mission de diseuse et confère à ces deux pages l’authenticité et la sincérité qu’elles appellent – et vont droit au cœur. Elle est superbement accompagnée par quatre musiciens de l’Orchestre national de Lyon, qui poursuivent la soirée, le temps aussi, pour la soprano, de se reposer un peu et de fourbir ses armes pour la suite, avec une interprétation de la très belle Romance pour violoncelle et piano de Fauré. L’entente entre les deux compères fonctionne à merveille, déployant une large palette de registres et d’émotions dans cette pièce toute de délicatesse.
Retour à la voix ensuite, avec trois extraits des Rückert‑Lieder de Mahler accompagnés ici en formation « quatuor avec piano » (dans un arrangement de Christian Favre). Pour surprenante qu’elle soit, l’adaptation pour quatre instruments de ce cycle de lieder – que l’on a l’habitude d’écouter avec le poids de l’orchestre – fonctionne à merveille, servant d’un écrin encore plus soyeux à la voix de la soprano, qui manifeste un réel talent d’interprète pour faire passer les divers états d’esprit du poète : le phrasé est subtil, le legato intéressant, et preuve est faite qu’elle une vraie chanteuse de lied, avec toute l’intelligence spécifique que ce répertoire nécessite.
Pause orchestrale à nouveau avec le Quatuor avec piano du même Mahler, composé en 1876 alors que le compositeur autrichien n’était âgé que de 16 ans et était encore étudiant au Conservatoire de Vienne ; il se compose d’un mouvement unique, le seul retrouvé dans les archives du compositeur, avec quelques mesures fragmentaires d’un hypothétique Scherzo. Déployant ses couleurs automnales dans une lumière crépusculaire d’aspect très brahmsien, il unit poésie et héroïsme, virulence et méditation, dans une alliance encore très romantique évoquant un lied sans paroles. Les musiciens lyonnais nous en donnent une lecture très poétique, chargée d’émotion et parfaitement en place.
Puis, dans les deux derniers Wesendonck‑Lieder de Wagner, comment ne pas admirer la précision de la diction de la très germanophile Cécile De Boever, qui donne du sublime « Rêves » une évocation poétique admirable, renforcée par une subtilité des phrasés et des nuances qui emporte l’adhésion. Et c’est sur la non moins sublime « Mort d’Isolde » (également dans un arrangement pour quatuor avec piano de Christian Favre) que s’achève cette soirée. Cécile De Boever a cette intelligence de commencer ce fameux Liebestod dans un murmure pour aller crescendo jusqu’à la déflagration vocale finale : un grand moment !
Emmanuel Andrieu
|
