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Tristan et Isolde dans la pénombre

Antwerp
Opera Vlaanderen
04/09/2023 -  et 22, 25, 29 mars, 2 (Gent), 12, 16, 19, 23* avril (Antwerpen) 2023
Richard Wagner : Tristan und Isolde
Samuel Sakker (Tristan), Carla Filipcic Holm (Isolde), Albert Dohmen (König Marke), Dshamilja Kaiser (Brangäne), Vincenzo Neri (Kurwenal), Mark Gough (Melot), Hugo Kampschreur (Stimme eines Junges Seemans, Ein Hirte), Simon Schmidt (Ein Steuermann)
Koor Opera Ballet Vlaanderen, Jan Schweiger (chef des chœurs), Symfonisch Orkest Opera Ballet Vlaanderen, Alejo Pérez (direction musicale)
Philippe Grandrieux (mise en scène, vidéo, scénographie, chorégraphie), An D’Huys (costumes)


(© Annemie Augustijns)


Tout le concept de cette nouvelle production de Tristan et Isolde (1868) à l’Opéra des Flandres repose sur la création vidéo du cinéaste expérimental Philippe Grandrieux. Sur un écran transparent placé entre la salle et le plateau défile un flux quasiment ininterrompu d’images répétitives, pour l’essentiel, dans chacun des actes, le corps de femmes nues – deux, peut‑être trois, difficile à dire – dont l’anatomie n’aura plus aucun secret pour personne, mais aussi, dans le deuxième acte, par moments, des ombellifères, et, dans le troisième, une espèce de substance huileuse, la nudité, montrée ad nauseam, restant centrale. Les chanteurs, qui paraissent distants, tels des spectres, restent constamment derrière cet écran, dans une frustrante obscurité.


L’Opéra des Flandres promet une expérience immersive, raison pour laquelle même le sous‑titrage a été retiré, et il n’a pas tort : il s’agit effectivement d’une immersion dans l’ennui et la vacuité. Outre la nature érotique, selon nous, quasiment inexistante des images, même si le metteur en scène n’en avait probablement pas l’intention, la dimension métaphorique de cette lassante création vidéo, qui finit par tourner à vide après déjà un quart d’heure, paraît faible, à l’exception, à un moment, et encore, des deux mains qui se joignent. De mains, il en est d’ailleurs souvent question, en particulier, dans le premier acte, pour lourdement suggérer la masturbation féminine. De décor, il n’en est pas vraiment question, de lumières, bien peu, de direction d’acteur, quasiment pas : les personnages restent lointains, désincarnés, presque comme des spectres, et effectuent un minimum de gestes, la plupart à distance les uns des autres, ce qui aurait convenu pour une production au plus fort de la pandémie – même Tristan et Isolde ne se rapprochent physiquement que rarement. Quant aux costumes, sobres et ordinaires, d’An D’Huys, ils ne présentent quasiment aucun intérêt, pour autant qu’il soit possible de bien les observer sous cette pénombre.


Cet opéra, dont le cinéaste sacrifie la dimension théâtrale en soi déjà faible, nous semble ainsi véritablement interminable, malgré la beauté de la musique et les mérites des interprètes, et cette mise scène vraiment radicale, mais dans le mauvais sens du terme, met la patience de certains spectateurs tellement à rude épreuve qu’ils quittent le théâtre lors de chacun des deux entractes. Le concept, qui se concentre donc, sans aucun doute possible, images à l’appui, sur la figure d’Isolde, en tout cas sur son corps, a au moins le mérite de la cohérence, Philippe Grandrieux restant fidèle à son langage et à son esthétique du début à la fin. Il faut espérer que cette première expérience du cinéaste à l’opéra demeure la seule. Ce spectacle réussit même, personnellement, à nous dégoûter pour un bon moment de l’utilisation de la vidéo à l’opéra. Nous nous demandons comment la direction de l’Opéra des Flandres n’est pas parvenue à se rendre compte suffisamment tôt en amont du projet qu’un échec se préparait ? Comme l’Opéra de Rouen a coproduit le spectacle, les Normands, en tout cas, se forgeront leur propre opinion.


La prestation des chanteurs distribués dans les rôles‑titres montrent une fois de plus, et il en sera encore ainsi longtemps, que ce opéra pose de redoutables difficultés, mais Samuel Sakker et Carla Filipcic Holm possèdent tous deux une voix taillée pour leur personnage et relèvent honorablement le défi, malgré de perceptibles signes de fatigue et de tension vocale. Le chant demeure toutefois, chez lui comme chez elle, un peu trop monotone, voire poussif. L’absence d’une véritable direction d’acteur n’aide vraiment pas. Albert Dohmen peine à bien être vu, mais aussi faire ressentir les blessures du roi Marke, un personnage à l’intervention courte mais cruciale, mais le chant présente de la tenue et signale le chanteur wagnérien expérimenté. Il faudrait retrouver Dshamilja Kaiser, admirable en Brangäne, dans une autre production de nature à mieux en révéler le potentiel, tandis que Vincenzo Neri, qui apparaît souvent à l’affiche de l’Opéra des Flandres, se démarque par la beauté du timbre et la remarquable tenue du phrasé. Quant à Mark Gough, un autre fidèle de ce théâtre, il se charge convenablement du rôle de Melot, qui ne semble pas avoir intéressé le metteur en scène.


Le plus grand motif de satisfaction provient donc de la fosse. Alejo Pérez obtient d’un orchestre d’excellente tenue de splendides sonorités, un jeu ferme et précis, une texture dense, mais transparente. Les chœurs, invisibilisés, ne viennent pas saluer, tout comme le cinéaste, d’ailleurs, mais le chef a raison de faire applaudir le cor anglais, impeccable dans le Prélude du troisième acte, et la trompette naturelle, un instrument que Wagner a imaginé utiliser au troisième acte, et dont l’Opéra des Flandres a commandé la fabrication à cette occasion.



Sébastien Foucart

 

 

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