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Nixon à Paris

Paris
Opéra Bastille
03/25/2023 -  et 29* mars, 1er, 4, 7, 10, 12, 16 avril 2023
John Adams : Nixon in China
Thomas Hampson (Richard Nixon), Renée Fleming (Pat Nixon), Xiaomeng Zhang (Zhou Enlai), Joshua Bloom (Henry Kissinger), John Matthew Myers (Mao Zedong), Kathleen Kim (Chiang Ch’ing), Yajie Zhang, Ning Liang, Emanuela Pascu (Secrétaires de Mao)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Ching‑Lien Wu (cheffe des Chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Gustavo Dudamel (direction musicale)
Valentina Carrasco (mise en scène), Carles Berga (décors), Silvia Aymonino (costumes), Peter van Praet (décors, lumières), Mark Grey (création sonore)


(© Christophe Pelé/Opéra national de Paris)


Un sujet historique, de vastes ensembles, un ballet : à l’heure où beaucoup le disaient définitivement mort, Alice Goodman et John Adams, icône de la musique répétitive, ne ressuscitaient‑ils pas les fastes du grand opéra ? De quoi ravir le public qui, depuis la création à Houston en 1987, ne cesse de faire fête à Nixon in China. Peut‑être parce que les voix y chantent généreusement, comme autrefois. Les fantômes de la Reine de la nuit et des rôles de colorature suraigu se réincarnent en Chiang Ch’ing (Mme Mao). Le grand ballet parodique du deuxième acte est aussi émaillé de clins d’œil à l’orchestre de Strauss, aux rythmes syncopés de Stravinsky, au Wagner de Lohengrin... Et la permanence de la tonalité à travers les ostinatos n’a‑t‑elle pas quelque chose de rassurant, avec ses épices pop ou jazzy, alors qu’au même moment Boulez s’apprête à composer Dérive 2 ? On résiste difficilement, aussi, aux séduction d’un orchestre virtuose – où s’invitent notamment, outre une percussion fournie, deux pianos et un synthétiseur.


La production de Peter Sellars, que la France découvrit à Bobigny quatre ans après la création, semblait indissociable de l’opéra. Valentina Carrasco propose de son côté une lecture très réussie, qui actionne tous les ressorts du grand opéra historique à travers un vrai spectacle, d’une rutilante beauté plastique. Elle le place sous le signe de la fameuse « diplomatie du ping‑pong », prélude à la visite historique de Nixon en 1972 : un an auparavant, à Tokyo, les championnats du monde avaient permis une rencontre des équipes américaines et chinoises. Des matches rythment la production, avant que les tables soient renversées ou suspendues à la fin, quand les couples Mao et Nixon, loin de toute politique, évoquent tendrement leur passé. Comme si ces matchs étaient une métaphore des relations internationales. L’Argentine joue en effet sur les symboles, avec notamment le dragon chinois, auquel Pat Nixon réserve ses confidences au deuxième acte, et qui côtoie pacifiquement l’aigle avion américain au troisième.


Mais elle n’est pas assez naïve pour ne pas montrer l’envers du décor. Si des livres tapissent le bureau de Mao, on en brûle d’autres à l’étage inférieur, comme on brûle le violon d’un musicien passé à tabac. Des films d’époque nous rappellent les horreurs de la révolution dite culturelle, les bombardements du Vietnam par l’aviation américaine, et le spectacle s’achève, alors que le doute s’empare de Chou En‑lai, sur les chars de la place Tian’anmen. Une façon de nous rappeler que reconnaissance de la Chine communiste n’a rien changé à la nature du régime. Vision désenchantée, magnifiquement assumée, qu’alourdit et dérythme un peu, néanmoins, le long extrait du film sur la visite d’Isaac Stern au Conservatoire de Shanghai, où un professeur raconte les humiliations infligées. Vision pleine d’ironie aussi, qui dénonce le ridicule des postures qu’impose à chacun sa propre propagande, surtout au deuxième acte, lors des visites diverses de Pat Nixon, ou de la représentation du Détachement féminin, réécriture de la scène des comédiens dans Hamlet.


A la tête d’un orchestre aux couleurs raffinées mais guère familier du minimalisme américain, Gustavo Dudamel fait heureusement oublier le ratage de son Tristan et Isolde, même si parfois sa direction pourrait être plus tendue et porter davantage d’attention au plateau. L’Opéra a fait appel, pour le couple Nixon, à deux étoiles du chant américain d’hier qui, même amoindries, ont encore fière allure – il est vrai que les aide la sonorisation prévue par le compositeur : Renée Fleming et Thomas Hampson, elle toujours encline à l’empathie, lui mégalomane capable de s’attendrir, campent de vrais personnages. Kathleen Kim ne fait qu’une bouchée des coloratures de Chiang Ch’ing, mariée au Mao adéquat mais un peu neutre du ténor américain John Matthew Myers. Côté clés de fa, le Chou En‑lai de Xiaomeng Zhang n’a rien à envier à Hampson pour le timbre et le style, le très probe Kissinger de Joshua Bloom pourrait en revanche avoir plus de relief. Le chœur est magnifique et les trois secrétaires perroquets du Timonier impeccables. L’opéra d’Adams entre à l’Opéra par la grande porte.



Didier van Moere

 

 

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