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Avec amour et générosité Bruxelles Bozar, Salle Henry Le Bœuf 03/26/2023 - et 16 (Saint Louis), 25 (Wien), 27 (Eindhoven), 28 (Amsterdam), 30 (Madrid) mars 2023 Serge Prokofiev : L’Amour des trois oranges : Suite, opus 33a
Edvard Grieg : Concerto pour piano, opus 16
Serge Rachmaninov : Danses symphoniques, opus 45 Víkingur Olafsson (piano)
St. Louis Symphony Orchestra, Stéphane Denève (direction)
S. Denève(© SLSO)
Le Klara Festival a pris fin ce dimanche avec, le soir, un récital de bienfaisance de Fazil Say en faveur des victimes des tremblements de terre en Turquie et en Syrie et, l’après‑midi, un concert de l’Orchestre symphonique de Saint‑Louis, sous la direction de Stéphane Denève. Cette formation effectue, en ce mois de mars, une tournée en Europe, qui passe, outre par la capitale belge, où le chef a dirigé le Brussels Philharmonic pendant sept ans, de 2015 à 2022, par Vienne, Eindhoven, Amsterdam et Madrid. Avant de débuter, le directeur musical rend hommage à Bernard de Launoit, CEO et président exécutif de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth, décédé à 59 ans, ce 23 mars, des suites d’une longue maladie. Ce concert lui est dédié.
Le nom de cet orchestre ne vient pas immédiatement à l’esprit lorsqu’il s’agit d’évoquer les grandes phalanges nord‑américaines, au contraire de Chicago, New York, Cleveland, Los Angeles, San Francisco ou Philadelphie. Pourtant, il affiche un excellent niveau, comme le prouve de manière éclatante la Suite de L’Amour des trois oranges de Prokofiev, un opéra créé, d’ailleurs, aux Etats‑Unis – à Chicago, précisément – en 1921. L’orchestre affiche de belles sonorités et se montre non seulement impliqué mais aussi rigoureux, sous la direction d’un Stéphane Denève attentif à la clarté et à la cohésion, à l’impulsion et à la narration. Cette exécution captivante touche au but : susciter l’envie d’écouter l’opéra en entier, par cet orchestre et ce chef.
Voici ensuite Víkingur Olafsson qui a reçu dans cette même salle, en juin dernier, une ovation debout, selon nous, exagérée, malgré ses mérites. Le pianiste islandais, nouvelle égérie de Deutsche Grammophon, cultive de lui une image particulièrement étudiée. Malgré ce marketing au goût douteux, il n’en demeure pas moins un excellent musicien à la technique impeccable, comme le prouve un Concerto de Grieg à l’image du Vingt‑troisième Concerto de Mozart. Aucune faute de goût n’entache cette exécution admirable, sur le fond comme sur la forme, en ce compris le dialogue avec l’orchestre, qui assure un accompagnement de grande classe. Le soliste cultive un jeu tour à tour dense et profond, fin et précis, sans épanchement ni maniérisme. Sans porter sur cette œuvre un regard neuf, l’exécution procure ainsi une impression de souffle et d’énergie, mais en toute pondération. Víkingur Olafsson remercie le public, toujours aussi généreux en applaudissements, avec une pièce contemplative du compositeur islandais Sigvaldi Kaldalóns (1881‑1946), Ave Maria, mais il a peut‑être oublié qu’il avait déjà donné la fois dernière en bis « Le Rappel des oiseaux » de Rameau, joué ici trop rapidement, à la limite malmené.
Une autre œuvre d’un compositeur russe, créée elle aussi aux Etats-Unis, par l’Orchestre de Philadelphie, les Danses symphoniques (1940) de Rachmaninov occupent la seconde partie. Stéphane Denève délivre de cette œuvre testamentaire une exécution impressionnante à bien des égards, à la fois ferme et concentrée, mais aussi capable d’abandon, bien que cette dimension aurait pu ressortir davantage, malgré des tempi justes et naturels. Il s’agit probablement de la raison pour laquelle cette lecture ne procure pas, contrairement à la Suite de Prokofiev, un enthousiasme aussi débordant. Mais les musiciens traduisent sans le moindre problème la grandeur épique de cette musique à laquelle ils impriment une impulsion irréprochable. Les cuivres ne ratent aucune occasion de briller, en particulier dans la spectaculaire conclusion, assez réussie, mais aussi de faire preuve de profondeur, en particulier dans la deuxième danse. Le chef se soucie de détails, d’équilibre et de clarté, ce qui met bien en évidence les solos et les échanges. Les bois, tous pupitres confondus, attirent par leur netteté et leur expressivité, les cordes, jamais prises en défaut, par leur densité et leur cohésion, tandis que les percussions ne manquent pas de se distinguent, et les interventions décisives ne manquent pas. La palette de couleurs de cet orchestre réellement épatant correspond à celle attendue dans cette œuvre rendue dans toute sa vigueur et sa richesse.
L’orchestre se montre aussi généreux en bis que le pianiste : l’Ouverture de Candide de Bernstein et la Farandole de L’Arlésienne de Bizet lui offrent une dernière fois l’occasion de briller. Les spectateurs n’ont pas manqué de remarquer que le chef, qui prendra une dernière fois la parole pour clamer son amour pour cet orchestre, sentiment manifestement partagé, et le soliste ont chacun reçu un bouquet, mais aussi, une fois n’est pas coutume, un ballotin de pralines. Si Stéphane Denève offre, comme le pianiste, ses fleurs au public, il gardera pour lui, contrairement à l’Islandais, les précieux chocolats.
Sébastien Foucart
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