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Un classique de demain Vienna Musikverein 03/24/2023 - et 25*, 26, 27 mars 2023 Johannes Brahms : Concerto pour violon, opus 77
Carl Nielsen : Symphonie n° 5, opus 50 Leonidas Kavakos (violon)
Wiener Philharmoniker, Herbert Blomstedt (direction)
H. Blomstedt (© MDR/Blomstedt Privatarchiv)
Les cycles d’abonnement du Philharmonique de Vienne sont en général l’occasion de réviser ses classiques, dans l’enceinte rassurante de la Goldener Saal et en compagnie de ses habituels voisins de rangée.
Le jeu de Kavakos a de fait quelque chose d’étonnamment antimoderne, de résolument classique, qui nous rappelle par certains aspects celui des grands violonistes du milieu du XXe siècle. Alors que la majorité des solistes contemporains donnent l’impression de vouloir transcender les limites de leur instrument et d’en dissimuler les inhérentes faiblesses, le violoniste grec revendique avec beaucoup de panache le geste violonistique sous‑jacent : les substitutions de doigts restent audibles, les démanchés sont assumés, l’intonation, les coups d’archet et les glissandos sont utilisés à fins clairement expressives. Bref, tout l’éventail technique du violon est mis à disposition de la musique sans être gommé du rendu final. C’est magistral, et absolument en phase avec l’accompagnement orchestral de Blomstedt. Il faut entendre la manière dont la musique semble se dilater à l’infini lorsque le thème réapparaît pour une dernière fois après la cadence du premier mouvement; ou encore apprécier la mobilité expressive des dialogues avec les pupitres de la petite harmonie dans l’Adagio. Le dernier mouvement est certes moins parfait dans la mise en place, mais compense aisément avec un supplément d’électricité. Arrive un bis qui restera dans les mémoires, deux mouvements de la Première Partita de Bach, présentés comme un diptyque unique, hypnotiques comme pourrait l’être une chaconne. On ne remerciera jamais assez Kavakos de ne pas séparer, même pour un bis, la Sarabande et le Doublé, qui partagent les mêmes bases harmoniques, ni d’omettre aucune des reprises. Comme à son habitude, le violoniste varie les répétitions en intégrant des broderies qui semblent comme inspirées par le moment, et qui ne viennent jamais troubler le flux musical.
Les rangs dans le public sont marginalement plus clairsemés au retour de l’entracte. Rien à faire, les Viennois n’aiment pas être dérangés dans leurs habitudes, et une œuvre du vingtième siècle d’un compositeur qui n’est ni Richard Strauss, ni même né dans l’empire austro‑hongrois, déroge à la routine du samedi après‑midi. Herbert Blomstedt, s’il a perdu en mobilité depuis une chute l’an dernier, reste toujours – à 95 ans – aussi affûté intellectuellement et précis dans sa gestique. La pulsation ne tremble pas, et il mène les longues progressions de la Cinquième Symphonie de Nielsen avec une inexorabilité d’airain. Derrière l’intensité des déchaînements sonores et les juxtapositions complexes, emmenées d’un tour de bras énergique, la sonorité reste chaleureuse et humaniste. Les pupitres de la petite harmonie et de cuivres ont d’ailleurs rarement sonné de manière aussi cohérente et solide. De longs applaudissements concluent une représentation qui donne le sentiment d’avoir assisté à un futur concert d’archive.
Dimitri Finker
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