Back
Le triomphe de Rita Tours Grand Théâtre 03/03/2023 - et 5* mars 2023 Gaetano Donizetti : Deux hommes et une femme Patrizia Ciofi (Rita), Léo Vermot-Desroches (Pepe), Dietrich Henschel (Gasparo)
Chœur de l’Opéra de Tours, Alice Dieval (chef de chœur), Orchestre symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours, Vincenzo Milletari (direction musicale)
Vincent Boussard (mise en scène), Domenico Franchi (scénographie), Christian Lacroix (costumes), Silvia Vacca (lumières), Nicolas Hurtevent (vidéos)
(© Marie Pétry)
Moins d’un mois après avoir ressuscité la version française de Lucia di Lammermoor (Lucie de Lammermoor) – et alors que l’Opéra national de Bordeaux redonne actuellement sa chance à la rare et superbe partition qu’est La Favorite (en version française) –, l’Opéra de Tours continue son exploration des ouvrages que le compositeur bergamasque Gaetano Donizetti offrit à la Ville lumière lors de son long séjour parisien. Plus connue sous le nom de Rita ou le mari battu, la partition retrouve au Grand Théâtre de Tours son nom français d’origine : Deux hommes et une femme. Composé en 1840 sur un livret de Gustave Vaëz (à l’instar de La Favorite), mais créé à titre posthume en 1860, le bref ouvrage de Donizetti peut être qualifié de « charmant », bien qu’à l’ère de #MeToo, cette intrigue assez machiste et davantage fondée sur les femmes battues que sur les maris relève pour l’auditoire d’aujourd’hui d’une vision du rapport hommes/femmes d’un autre temps. Mais l’œuvre mérite d’être reprise, ne serait‑ce parce que c’est du « joli » Donizetti, fort agréable à écouter, sans égaler bien sûr, dans le même registre comico‑léger, La Fille du régiment ou Don Pasquale.
Donizetti se déchaîne à travers son personnage de Rita, femme despote de son (nouveau) mari Pepe après avoir été battu par l’ancien (Gasparo), qu’elle croyait mort mais qui fait inopinément resurface ! Personnage haut en couleur, elle n’a pas peur de déclarer « Mon mari n’en fait qu’à ma tête ! ». Tout cela est d’un politiquement incorrect savoureux, que soulignent les quelques gags d’une mise en scène, confiée à Vincent Boussard, par ailleurs assez confuse, et qui ne vaut que par les subtils éclairages de Silvia Vacca et les (toujours) élégantissimes costumes du styliste‑star Christian Lacroix. Féministe, le metteur en scène détourne la fin du livret et Rita l’emporte ici, en se débarrassant, par la manière forte, de ses deux encombrants maris !
Pour faire « passer » le livret, il fallait donc tout l’abattage et la vis comica de trois chanteurs d’exception, et Laurent Campellone a eu la main heureuse en proposant le rôle de Rita à Patrizia Ciofi, celui de Pepe au brillant ténor Léo Vermot-Desroches (épatant dans L’Auberge du Cheval‑Blanc en décembre dernier à l’Opéra de Marseille) et celui de Gasparo au vétéran allemand Dietrich Henschel. Car il faut aussi pouvoir rendre justice à ces airs virtuoses, écrits avec une finesse délectable, et donc des chanteurs aussi vaillants que spontanés. On connaît la facétie innée de la soprano toscane, et elle ne fait qu’une bouchée de la pétulante Rita, à laquelle elle prête son timbre voilé qui n’a rien perdu de ses couleurs ni de sa virtuosité, trente ans après ses débuts sur scène. De son côté, le jeune Léo Vermot-Desroches est promis d’ores et déjà à un bel avenir, grâce à une présence scénique innée, une voix claire mais puissante et superbement projetée, au style parfait et à l’impeccable diction. A ce titre, son collègue allemand n’est pas exempt de blâme, mais le métier fait oublier ce bémol, d’autant que son superbe legato et son beau timbre continuent de séduire.
Enfin, last but not least, à la tête d’Orchestre symphonique Centre-Val de Loire/Tours qui fait des étincelles, Vincenzo Milletari allie élégance et charme. Le plaisir que le jeune chef italien prend manifestement à diriger la version originale française de Rita (qu’il récite par cœur en même temps que les interprètes de la première à la dernière réplique !) est décuplé par l’accueil enthousiaste du public tourangeau.
Emmanuel Andrieu
|