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Alain Planès, artisan d’une épopée médiévale

Paris
Athénée - Théâtre Louis‑Jouvet
03/06/2023 -  
Johannes Brahms : Die schöne Magelone, opus 33
Stéphane Degout (baryton), Marielou Jacquard (mezzo‑soprano), Alain Planès (piano), Roger Germser (comédien)


S. Degout (© Jean‑Baptiste Millot)


Roger Germser, sobre et vivant à la fois, nous narre quelques épisodes significatifs de la légende médiévale à partir de laquelle Ludwig Tieck a conçu son roman Les Amours de la Belle Maguelone et de Pierre, Comte de Provence (1797). Le Berlinois prit soin d’y insérer dix‑sept Romanzen versifiées, que Brahms utilisera à son tour dans son premier grand cycle de quinze lieder. Intitulé Romances de Maguelone, cet Opus 33 nous conduit du Languedoc à Babylone en passant par Naples au gré des aventures et des amours de Pierre de Provence, fils du comte de Provence, et de Maguelone, une princesse napolitaine.


La manière dont le Nordique Brahms s’approprie cette saga sudiste se perçoit dans l’alternance constante du Volkslied et du Kunstlied, un ton de légende qui semble venir du fond des âges sur quoi se greffe l’écriture la plus ouvragée. Au reste le cycle, par l’ampleur du matériau brassé et la richesse des paysages traversés, fait éclater le cadre étroit assigné au genre du lied. Alain Planès l’a compris, qui orchestre son jeu comme le conteur module sa voix selon qu’il évoque Pierre chevauchant son destrier (« Traun ! Bogen und Pfeil sind gut für dein Feind »), les mers tempétueuses (« Verzweiflung ») et leurs gros bouillons déferlant sur toute l’étendue du clavier, les appels de cors (« Keinen hat es noch gereut »), le velours d’une berceuse (« Ruhe, Süssliebchen ») ou la poussée hymnique du duo final (« Treue Liebe dauert lange »). Le pianiste est le grand artisan de cette épopée ; son toucher onctueux, sa sonorité pleine et profonde y font merveille.


Marielou Jacquard n’écope que de quatre lieder, où elle prête sa voix à Maguelone et Suleima. Son timbre musqué joint à la fraîcheur de son intonation en fait une Maguelone attachante, un rien mutine, tranchant ainsi sur l’univocité dolente généralement cultivée par les mezzos.


Stéphane Degout incarne son personnage comme un rôle d’opéra. De là un empan dynamique grand ouvert, du murmure au cri déchirant, et un nuancier qui visite volontiers les extrêmes – pianissimos et fortissimos. Sa voix épouse sans coup férir les différents rythmes (pointé, sicilienne, chevauchées, etc.) dont Brahms a parsemé sa partition. Plutôt économe en mezza voce bien que maître de la sourdine (« Ruhe, Süssliebchen »), il conserve un je‑ne‑sais‑quoi de français dans la manière de placer la voix, sans que cela n’affecte sa prononciation impeccable de l’allemand.


On soulignera l’efficacité de la scénographie, avec jeux de lumières adaptés et récits qui serpentent entre les lieder. « La Nonne et le Chevalier » du même Brahms (poème d’Eichendorff), proposé en bis, offre un prolongement idoine à cette atmosphère moyenâgeuse mâtinée d’amour courtois.


Une superbe soirée à verser au crédit des Lundis musicaux de l’Athénée... et à revivre prochainement au disque : les notes de programme nous apprennent que l’éditeur B Records a placé ses micros.



Jérémie Bigorie

 

 

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