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La force de la vérité

Antwerp
Opera Vlaanderen
02/15/2023 -  et 17, 19*, 21, 23, 25, 28 février, 2, 4 mars 2023
Philip Glass : Satyagraha
Stefan Cifolelli (Gandhi), Cathrin Lange (Ms. Schlesen), Maren Favela (Kasturbai), Jorge Eleazar Alvarez (Mr. Kallenbach), Justin Hopkins (Parsi Rustomji), Sophia Burgos (Ms. Naido), Daniel Arnaldos (Prince Arjuna), Raphaële Green (Ms. Alexander)
Koor Opera Ballet Vlaanderen, Jef Smits (chef de chœur), Symfonisch Orkest Opera Ballet Vlaanderen, Jonathan Stockhammer (direction musicale)
Sidi Larbi Cherkaoui (mise en scène, chorégraphie), Henrik Ahr (scénographie), Jan‑Jan Essche (costumes), Roland Edrich (lumières)


(© Annemie Augustijns)


Au tour d’Anvers d’accueillir enfin cette production de Satyagraha (1980), créée au Théâtre de Bâle en 2017, représentée ensuite au Komische Oper de Berlin et à l’Opéra des Flandres à Gand. Les opéras de Philip Glass bouleversent les codes du genre et déplacent le cadre référentiel de la représentation, et ce Satyagraha mis en scène et chorégraphié par Sidi Larbi Cherkaoui ne fait pas exception. Il s’agit d’un spectacle de danse, plus que d’opéra, moins de théâtre musical qu’une expérience unique, synergie parfaite entre son et image, entre musique et chorégraphie, entre pensée et émotion artistiques, et la meilleure façon d’apprécier cette production consiste finalement à se laisser porter par celle‑ci, en laissant ses préjugés au vestiaire et en prenant cette œuvre pour ce qu’elle, sans chercher à la comparer à une autre.


A ces conditions, c’est un spectacle d’une stupéfiante beauté qui s’offre à nous. Malgré la pauvreté du matériau, cette musique exerce comme par magie un grand pouvoir de séduction et d’addiction, et dans ce flux répétitif, qui jamais ne fléchit, la moindre modulation, le moindre changement de ton, ou de rythme, crée un effet immédiat, relevant de l’émotion. Et cette œuvre offre un terreau fertile et idéal à Sidi Larbi Cherkaoui qui signe une mise en scène et une chorégraphie constamment et exceptionnellement inspirées. Les trois actes, séparés par un entracte, certainement pour permettre aux nombreux interprètes présents sur la scène de récupérer quelque peu, paraissent tout aussi réussis les uns que les autres, mais le troisième se démarque, non seulement par sa dimension politique plus assumée, mais aussi par l’utilisation de la plateforme qui se soulève, penche, balance, offrant même une image métaphorique de l’oppression lorsque les danseurs évoluent sous celle‑ci, en rampant. Les différentes séquences de l’opéra, qui évoquent chacune un événement politique de la vie de Gandhi, privilégient le symbole et l’abstraction, sans tomber dans l’hermétisme, ce qui garantit toute la clarté du propos, encore aujourd’hui actuel, formulé dans le livret de cet ouvrage qui possède, plus de quarante ans plus tard, un caractère intemporel.


Un tel spectacle intense, même dans les moments de respiration, et riche de signification suffit, en effet, à convaincre des possibilités physiques et poétiques quasiment illimitées de la dance, et il faut reconnaître que la chorégraphie virtuose de l’ancien directeur du ballet de l’Opéra des Flandres excelle dans l’occupation de l’espace, les mouvements, la gestuelle ; elle crée à maintes reprises de splendides et stupéfiants tableaux humains, qui imprègnent la rétine et la mémoire, parvenant ainsi, par une mystérieuse alchimie, à fusionner avec la musique dont elle semble se nourrir, à moins que cela ne soit l’inverse. Il parait difficile désormais d’imaginer une mise en scène de Satyagraha encore plus envoûtante et en état de grâce, et dans laquelle la danse occuperait une importance moindre que dans celle‑ci. Et l’absence de décor à proprement parler ne suscite aucun regret, compte tenu de l’intelligente utilisation du dispositif, finalement minimaliste, lui aussi, et de l’éclairage, magnifiquement élaboré par Roland Edrich ; les costumes méritent, quant à eux, une mention spéciale, en particulier, par leur utilisation des couleurs et leur caractère tantôt contemporain, tantôt évocateur de l’époque de Gandhi. Et comme dans toute bonne production véhiculant un message, et l’Opéra des Flandres est coutumier du fait, les personnages évoluent plus d’une fois brandissant des pancartes ou des écriteaux munis d’inscriptions en anglais ou en sanskrit. Mais le corps constitue aussi un support de choix pour porter toutes sortes de slogans, en l’occurrence au milieu du troisième acte durant lequel les danseuses apparaissent presque totalement dénudées, avec sur le corps « My body my choice » – et quel dommage qu’il faille encore rappeler cette évidence.


Même si le spectacle tire sa force de leur énergie palpable, il n’y a pas que les danseurs de la troupe de ballet de l’Opéra des Flandres qui se montrent excellents et investis, sans doute jusqu’à leurs limites. Mis, eux aussi, à contribution, et pas qu’un peu, par le chorégraphie, les choristes, préparés par Jef Smits, et l’orchestre, concentré et précis, sous la direction de Jonathan Stockhammer, contribuent largement à la réussite de cet inoubliable spectacle qui parvient même à nous réconcilier avec la musique, unique en son genre, de Philip Glass. La distribution est à la hauteur du défi, encore que la voix de Stefan Cifolelli, qui incarne un Gandhi, à juste titre, jeune, car le propos se concentre sur ses années en Afrique du Sud, mais peu charismatique, manque trop souvent de puissance. Les autres paraissent mieux dimensionnées, et nous ne sommes pas près d’oublier la beauté gracieuse et simple de Sophia Burgos, ni les interventions pénétrantes, par leur présence et leur voix, de Justin Hopkins et Raphaële Green. En l’absence d’intrigue, la direction d’acteur possède forcément une importance moindre, mais le chorégraphe semble accorder aux chanteurs, résultat à l’appui, autant d’importance qu’aux danseurs. Le public se lève immédiatement pour réserver un accueil très chaleureux à tous les interprètes, et il ne faut pas oublier de saluer aussi la contribution décisive de toutes les parties prenantes qui agissent dans l’ombre et qui ne viennent presque jamais sur le plateau lors des saluts.


Après Akhnaten et Satyagraha, l’Opéra des Flandres montera‑t‑il Einstein on the Beach, de préférence sans entracte, comme à l’époque de la création, pour permettre à chacun de se dégourdir les jambes quand il le juge bon, afin de clore la trilogie sur les « hommes qui ont changé le monde dans lequel ils vivent par le pouvoir de leurs idées » ?



Sébastien Foucart

 

 

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