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Triple création tournaisienne

Tournai
Hôtel de ville
02/18/2023 -  
Pravoslav Kohout : Quartet Reflexion (création)
Simon Thierrée : Fantaisie en huit miniatures (création)
Andrea Portera : Neadar Willbring (création)

Quatuor MP4 : Claire Bourdet, Margaret Hermant (violon), Pierre Heneaux (alto), Merryl Havard (violoncelle)


Le Quatuor MP4 (© Danny Willems)


Quelle belle et courageuse initiative. L’association Proquartetto, qui organise « Les Voix intimes », le festival européen du quatuor à cordes de Tournai, a lancé, il y a environ un an, un concours de composition avec deux objectifs : soutenir le secteur de la création, mais dans un genre bien spécifique, le quatuor à cordes, victime, lui aussi, des effets néfastes de la crise sanitaire, et inciter les compositeurs de tout âge à enrichir ce répertoire prestigieux. Ouvert à toutes les nationalités, ce concours n’imposait que peu de contraintes : écrire une œuvre inédite, pour quatuor à cordes, d’une durée comprise entre dix et vingt minutes. L’association a reçu un nombre assez encourageant de partitions, septante‑six, provenant de trente‑et‑un pays de différents continents, soumises à un jury composé de Claire Bourdet, Martin Loridan, Jean‑Luc Fafchamps et Benoît Mernier. Les trois œuvres retenues ont été rendues publiques le 31 décembre dernier.


Le Quatuor MP4, dont le premier violon figure dans le jury, joue ce samedi 18 février, au Salon de la Reine de l’Hôtel de ville, en présence du public, les œuvres primées, lors d’une soirée en trois parties : la proclamation des prix, l’exécution des œuvres et une réception pour permettre à tous de se réunir autour d’un verre. Durant la proclamation, qui se déroule avec juste ce qu’il faut de sobriété et de solennité, outre l’intervention, relativement convenue, de l’échevine de la culture et celle, pertinente et précise, du président de l’association Proquartetto, qui a rappelé qu’il a existé, de 1951 à 1972, un concours de quatuor à cordes à Liège, ouvert à la composition, mais aussi à la lutherie et à l’interprétation, le centre de gravité se déplaçant, cinquante ans plus tard, d’une province à une autre, les trois compositeurs primés sont invités à s’exprimer, en anglais pour Andrea Portera, en français pour Simon Thierrée et en tchèque pour Pravoslav Kohout, allocution traduite au fur et à mesure par un habitué du festival qui a appris cette langue. Il aurait été opportun qu’un des membres du jury prenne aussi la parole, non pour justifier son choix, mais pour livrer à l’assistance quelque éclairage sur les attentes, les critères pris en compte, son ressenti face à toutes ces partitions examinées. La moisson engrangée rassure‑t‑elle quant à la maîtrise de cette forme, réputée à juste titre exigeante, et à la capacité des concourants de renouveler le genre, de proposer du neuf, voire de l’inattendu ?


Les œuvres, exécutées ensuite dans l’ordre inverse de celui de la proclamation, partagent au moins deux points communs qui se dégagent assez clairement : la sincérité de l’intention et la maîtrise de l’écriture. Le prix de la ville de Tournai et des auditeurs, d’une valeur de 1 000 euros, a été décerné à Pravoslav Kohout (né en 1943) pour Quartet Reflexion. Ce compositeur ne publie ses œuvres que depuis quelques années, mais il participe depuis longtemps à la vie musicale de son pays. Son père fut même le violoncelliste du Quatuor Smetana, et lui‑même a cofondé le Quatuor Kocian, en 1972, du temps où cette formation officiait sous un autre nom. Nous découvrons une œuvre intense et contrastée, à l’impact immédiat, ancrée dans la tonalité et inscrite sans nul doute dans la tradition européenne, plus précisément d’Europe centrale, des grands quatuors du siècle passé. L’influence de Janácek, le compositeur qui vient immédiatement à l’esprit, se fait bien sentir, sans qu’il faille parler d’imitation, cette composition parvenant à faire entendre des traits personnels et touchants. Selon son auteur, cette œuvre est la première de son catalogue à être jouée en dehors de la République tchèque.


Le prix de la Fédération Wallonie-Bruxelles, d’un montant de 4 000 euros, revient à Simon Thierrée (né en 1980) pour Fantaisie en huit miniatures. Des trois compositeurs, ce lauréat est celui dont le parcours musical et artistique paraît le plus original, le plus ouvert aux autres disciplines, en particulier les arts de la scène, le cirque étonnamment. Dans sa prise de parole, il remercie même l’association d’avoir permis à des compositeurs, par le biais de ce concours, de s’exprimer librement, ce qui se ressent immédiatement dans une pièce revêtue d’un pouvoir évocateur, voire poétique, certain. L’écriture, moins traditionnelle, pour autant que ce terme ait un sens, plus aérée, plus libre, aussi, que celle de l’œuvre précédente, témoigne d’une volonté de recherche, en faveur de l’expression, et explore assez largement les sonorités, les interprètes devant même tapoter sur la caisse de leur instrument. Nous devrions la réécouter pour mieux en apprécier la signification, la finesse et les audaces formelles.


Le grand prix Proquartetto, du Fonds Lemay et du Forum de la création musicale, qui s’élève à 4 500 euros, a été remis à l’Italien Andrea Portera (né en 1973) pour Neadar Willbring. Le jury ne s’est pas trompé en accordant la plus haute récompense à cette composition, et c’est celle-là que nous retiendrons personnellement, pour sa rigueur et sa densité, qu’une seule écoute ne saurait épuiser, pour ses recherches, toujours au service de l’expression, sa stimulation intellectuelle, également, autant de marqueurs d’un métier supérieurement maîtrisé. Dans cette œuvre exigeante mais en rien hermétique, et véritablement portée par un souffle puissant, les excellents musiciens du Quatuor MP4 sont entièrement mis à contribution, car ils doivent à un moment frapper aussi sur leur instrument, mais en plus expirer dans le chevalet et même fredonner. Ces procédés qui peuvent paraitre vains et artificiels sur le papier contribuent à entourer cette composition de premier ordre d’un halo sonore particulier et à susciter l’émotion. Les plus réfractaires à la modernité pourraient lui reprocher de se conformer à un certain académisme, mais nous y entendons pour notre part une voix sans concession, bien que personnelle, à connaître assurément.


Il faut donc saluer cette démarche de l’association Proquartetto, espérer qu’une autre édition verra le jour et regretter la faible couverture médiatique dont ce concours a bénéficié, hormis la venue, à un moment, lors de cette soirée, de la chaîne de télévision locale, en particulier celle, assez indigne, de Musiq3, un des soutiens, pourtant, du festival, le logo figurant même sur le programme. La station de radio belge francophone a bien accordé quelques moments sur ses ondes pour faire connaître ce concours, mais elle n’a malheureusement pas jugé bon de poser ses micros pour pérenniser cette soirée, si importante pour ce festival et l’association qui l’organise, et permettre ainsi à davantage d’auditeurs de découvrir ces œuvres nouvelles.


Retour à du connu lors du prochain, et avant‑dernier, concert des « Voix intimes », le 1er avril, au Conservatoire : le Quatuor Doric interprètera le Quatuor opus 18 n° 2 de Beethoven, le Quatuor de Berg et le Premier Quatuor « De ma vie » de Smetana.


Le site du Quatuor MP4



Sébastien Foucart

 

 

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