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Les envoûtantes sirènes d’Unsuk Chin

Paris
Maison de la radio et de la musique
02/12/2023 -  
Unsuk Chin : Le Silence des Sirènes (création) [1] – Puzzles and Games from Alice in Wonderland [2]
Francesco Filidei : I giardini di Vilnius (création)

Faustine de Monès [1], Alexandra Oomens [2] (soprano), Sonia Wieder‑Atherton (violoncelle)
Orchestre philharmonique de Radio France, Antony Hermus (direction)


F. de Monès (© Roberto Testi)


Un mauvais génie présidait‑il aux destinées de cette trente‑troisième édition du festival Présences ? Alors qu’un préavis de grève, déposé par une poignée de musiciens de l’Orchestre national de France, a suffi à entraîner l’annulation du très attendu concert de samedi soir, un problème technique lié à l’orgue nous prive de la création de Théo Mérigeau (Hoquetus Animalis) pour ce concert de clôture.


On en est quitte pour une soirée un rien bancale, les deux œuvres vocales d’Unsuk Chin (née en 1961) se ressemblant par trop, surtout entendues dans un laps de temps aussi rapproché. La première, Le Silence des Sirènes (2014, 2023 pour la nouvelle version), s’inspire du onzième chapitre d’Ulysse de Joyce, émaillé d’extraits en grec anciens de L’Odyssée d’Homère ; la seconde, Puzzles and Games from Alice in Wonderland (2017), est une suite pour soprano et orchestre d’après l’opéra Alice in Wonderland qui occupa la compositrice entre 2004 et 2007 – on regrette l’absence des textes dans les notes de programme.


Telle la créature légendaire, Faustine de Monès traverse la salle en chantant avant de monter sur la scène. Sa performance est en tout point digne de celle de Barbara Hannigan, créatrice de la version originale : une déclamation lisible et expressive, aux accents variés, où passe parfois le souvenir de Berio (Sequenza III) et Ligeti (Mysteries of the Macabre), mais qui sait autant s’épanouir dans un naturalisme saisissant. Les mélismes tragiques de la fin dégagent une aura maléfique – ces fameuses voix des sirènes qu’Ulysse, attaché au mât du navire, a tenu à entendre malgré les périls ? La gestique saccadée d’Antony Hermus rend justice aux épisodes à la rythmique labile. Les merveilles d’orchestration abondent, comme cet épisode irrésistible où les cuivres bouchés évoluent avec une étonnante plasticité.


Tout aussi exubérante, la vocalité de Puzzles and Games from Alice in Wonderland s’accorde aux « onze miniatures » qui forment ce réjouissant bestiaire. La soprano endosse à elle-seule les rôles d’Alice, du lapin ou de la souris. Le début aux vents évoque L’Enfant et les Sortilèges de Ravel, cependant que le spectre de Stravinsky (celui de Renard et des Berceuses du chat) transite au gré de ces vignettes enchaînées dont certaines virent à l’exercice de style ; et les musiciens du Philhar’ de jouer parfaitement le jeu. « Twinkle, twinkle, little star », d’après une chanson enfantine anglaise, s’enchaîne à un interlude en forme de galop dont elle prolonge la sensation de fuite en avant. Alexandra Oomens n’a peut-être pas l’abatage scénique de sa consœur, mais elle donne vie à la partition d’Unsuk Chin.


La notice ne nous dit rien des « Jardins de Vilnius » choisis par Francesco Filidei (né en 1973) comme sous‑titre à son concerto pour violoncelle. Les sonorités raréfiées, la palette de timbres d’une grande délicatesse et les nuances aux limites de l’audible évoquent l’ambiance d’un jardin japonais, où le seul bruit d’un plongeon de grenouille parmi le silence des feuilles et des eaux suffirait à hisser la méditation sur les plus hautes cimes intérieures. Un jardin féerique (Ravel, encore lui !) peuplé d’une faune luxuriante (les appeaux chers au compositeur pisan sont bien là) et traversé d’une lumière éblouissante (cordes en harmoniques prolongées par les cors). Si ces épisodes poétiques et volontiers consonants séduisent, les épisodes plus âpres (clusters de l’accordéon, pression de l’archet sur le chevalet) vont de pair avec une écriture soliste étonnamment prosaïque, comme si le métier suppléait aux visites intermittentes de la muse. Sonia Wieder‑Atherton, en écho à ce qui vient d’être dit, est de son côté plus à son aise dans les passages où son instrument instille une manière d’émanation ; la postérité jugera.


L’incontournable Pierre Charvet, délégué à la création musicale à Radio France, nous apprend que l’édition 2024 du festival se mettra à l’heure américaine en célébrant l’un des papes du minimalisme : Steve Reich.



Jérémie Bigorie

 

 

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