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Une Alcina quasi idéale

Paris
Philharmonie
02/07/2023 -  et 9 (Bordeaux), 13 (Hamburg), 15 (Madrid), 17 (Barcelona), 19 (Valencia) février 2023
Georg Friedrich Händel : Alcina, HWV 34
Magdalena Kozená (Alcina), Anna Bonitatibus (Ruggiero), Erin Morley (Morgana), Elizabeth DeShong (Bradamante), Valerio Contaldo (Oronte), Alex Rosen (Melisso), Alois Mühlbacher (Oberto),
Les Musiciens du Louvre, Marc Minkowski (direction)


(© Pablo Ruiz)


Alcina (1735) est à la fois un des plus grands chefs‑d’œuvre de Händel et une des magiciennes les plus célèbres du monde baroque. Dernier opéra d’envergure du compositeur saxon, il est également le troisième (après Orlando et Ariodante) à s’inspirer du célèbre récit Orlando furioso du poète L’Arioste. Une fois de plus, Händel met donc ici en scène une magicienne, comme il y avait eu avant elle Médée ou Melissa mais, pour l’occasion, c’est elle le personnage central d’un opéra dont le succès s’est confirmé depuis sa redécouverte dans les années 1950 avec Joan Sutherland dans le rôle‑titre.


La version de concert de ce soir se méritait. En cette journée de grève contre la réforme des retraites, le public a pris la précaution d’arriver bien en avance, certain en revanche de ne plus avoir de métro à la sortie, les applaudissements finaux emplissant la grande salle de Philharmonie quatre heures après le coup d’envoi quasi à la minute près, l’opéra dépassant à lui seul les trois heures trente, auxquelles il fallait bien ajouter un entracte pour permettre notamment à l’orchestre, ô combien sollicité, de reprendre son souffle. Toujours est‑il que cette représentation parisienne, la première d’une petite tournée européenne, fut à marquer d’une pierre blanche tant la réussite de l’ensemble fut patente sous la houlette d’un Marc Minkowski des plus inspirés.


Il est vrai que l’équipe vocale rassemblait des solistes d’exception. Dans le rôle‑titre, Magdalana Kozená affirme d’emblée une technique, une musicalité et, surtout, une présence physique idéales. Il faut dire que la chanteuse tchèque qui (hasard qu’elle a récemment confié à nos confrères de Forum Opéra) avait travaillé le rôle de Ruggiero pour l’interpréter aux côtés de Cecilia Bartoli qui devait tenir le rôle‑titre, le projet ayant avorté en raison de la crise du covid, sait parfaitement épouser le personnage d’Alcina dont les fêlures et les doutes apparaissent progressivement au fil de l’opéra, nous conduisant ainsi du séduisant et quelque peu bravache « Di, cor mio » au premier acte (air où la séduction de la magicienne est le maître-mot) à l’air célébrissime, « Ah, mio cor », dans lequel elle commence à être en proie à certains doutes concernant sa relation avec Ruggiero, jusqu’à son dernier air, « Mi restamo di lacrime », où elle réclame une mort qui peut seule la délivrer de la perte progressive de tous ses pouvoirs ; « la magicienne est nue » pourrait‑on conclure... Magdalena Kozená est parfaite de bout en bout même si elle aurait sans doute pu accentuer encore davantage son désespoir à la fin de l’opéra, la chanteuse restant encore un peu trop fière à notre sens : projection idéale, diction parfaitement intelligible, technique sans faille, charisme scénique évident. Idéalement soutenue par les Musiciens du Louvre (son second air au premier acte, « Si, son quella », où elle commence par chanter avec le seul accompagnement d’un clavecin, d’un violoncelle et du théorbe, avant que l’orchestre tout entier n’intervienne, passage superlatif !), elle fut évidemment une des grandes triomphatrices de la soirée.


Mais que serait Alcina sans un grand Ruggiero pour lui répondre ? Tour à tour séduit, puis trompé, et donc dépité, le personnage s’avère des plus intéressants puisqu’au fil de l’opéra, celui qui était sous la coupe de la magicienne finit par prendre son envol, son autonomie et, au bout du compte, se délivre totalement de l’emprise d’Alcina, au grand dam de celle‑ci évidemment. Dans ce rôle terriblement exigeant créé par le grand castrat Giovanni Carestini, Anna Bonitatibus s’avère excellente. Si elle pouvait sans doute être plus véhémente dans son premier air « Di te mi rido, semplice stolto », à l’instar du jeu extrêmement vif des cordes l’accompagnant, son chant révèle des finesses admirables dans l’air « Mi lusinga il dolce affetto » au deuxième acte (quels pianissimi !), la présence d’Anna Bonitatibus trouvant son summum dans l’air véhément « Sta nell’Ircana pietrosa tana » au troisième acte, accompagnée par l’orchestre épaulé pour l’occasion par deux cors.


Troisième personnage important de l’opéra, Morgana, sœur d’Alcina, rôle tenu ce soir par la chanteuse américaine Erin Morley. Dès son premier air « O s’apre al riso », elle fait montre d’une technique infaillible (des aigus cristallins d’une pureté incroyable) qui, évidemment, culmine dans l’air bien connu « Tornami a vagheggiar » concluant le premier acte avec un tel brio, qu’il obligea Marc Minkowski à la faire revenir sur scène depuis les coulisses pour qu’elle soit justement ovationnée. Sa voix trouve de nouveau à s’épanouir dans l’air poignant « Ama, sospira », au deuxième acte, doublée par un violon solo surnaturel – on va y revenir – et sans doute plus encore dans l’air douloureux « Credete al mio dolore » au troisième acte où, cette fois‑ci, elle est accompagnée par un violoncelle solo qui nous tira des larmes de la première à la dernière note. Ce ne fut donc pas vraiment une surprise si, à la fin, Erin Morley gagna à l’applaudimètre devant Ruggiero.


Même si le personnage de Bradamante ne se voit confier qu’une aria par acte, Elizabeth DeShong se montre tout à fait à la hauteur du personnage grâce à une technique éprouvée, en dépit d’une voix peu engorgée dans son premier air « E gelosia ». Pour sa part, Alex Rosen impressionne par sa voix chaude, puissante, enjôleuse même, conférant à Melisso un véritable intérêt. Idem pour le personnage d’Oronte, bien campé par le fier Valerio Contaldo dont les timbres ambrés furent tout à fait à la hauteur de la partition.


Le rôle d’Oberto, qui parcourt l’île à la recherche d’Astolfo, son père (jadis amant délaissé par Alcina), est tenu par le jeune Alois Mühlbacher (qui avait déjà tenu ce rôle sous la baguette de Marc Minkowski dans la série des représentations données à l’Opéra de Vienne en novembre 2010) : du strict point de vue du respect de la partition, on ne peut que se féliciter de son maintien puisque, fréquemment, ce petit rôle est supprimé ; il est vrai qu’il est très marginal et qu’il n’apporte pas grand‑chose aux intrigues principales de l’œuvre. Ce soir, en dépit de son application (presque scolaire) évidente, la voix du jeune homme est nasillarde, blanche, la justesse moyenne (pauvre « Chi m’insegna il caro padre » au premier acte...) et le volume étriqué : à n’en pas douter, la seule véritable faiblesse au sein d’une équipe, comme on l’a vu, du plus haut niveau.


Mais, bien que le plateau vocal (auquel il faut ajouter l’excellent chœur des Musiciens du Louvre) ait été excellent, le véritable triomphateur de la soirée ne fut‑il pas finalement l’orchestre ? Dès l’Ouverture, Les Musiciens du Louvre aux effectifs conséquents sonnent merveilleusement, les cordes (une bonne trentaine) étant rehaussées par les timbres des trois bassons, des trois hautbois, des deux clavecins et, lorsqu’ils furent requis, des flûtes et des cors. Récemment revenu de la Mozartwoche qui s’était déroulée à Salzbourg fin janvier où il dirigea le Philharmonique de Vienne dans un copieux programme (trois dernières symphonies), Marc Minkowski dirige son ensemble avec une confiance et une gourmandise patentes, n’hésitant pas à s’adresser aux musiciens en cours de représentation pour les inviter à davantage de volume ou les inciter à accélérer un peu la dynamique. Au‑delà de la prestation collective, tout bonnement parfaite (Marc Minkowski ayant intégré l’ensemble des intermèdes purement instrumentaux qui sont parfois sacrifiés dans telle ou telle production), on tressera des lauriers spécifiques à Alice Piérot, sublime dans son solo accompagnant l’air « Ama, sospira » de Morgana, d’une émotion intense et d’une justesse absolument remarquable, et à Gauthier Broutin dans son solo, toujours pour accompagner Morgana, dans l’air « Credete al mio dolore ». La représentation bordelaise fut semble‑t‑il captée par les micros de Pentatone pour une future édition : la version discographique de référence à venir ?


Le site de Marc Minkowski
Le site de Magdalena Kozená
Le site d’Anna Bonitatibus
Le site d’Erin Morley
Le site d’Elizabeth DeShong
Le site d’Alex Rosen
Le site d’Alois Mühlbacher
Le site des Musiciens du Louvre



Sébastien Gauthier

 

 

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