About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Le portrait musical de Leonidas Kavakos par Unsuk Chin

Paris
Philharmonie
02/10/2023 -  
Johann Sebastian Bach : Das musikalische Opfer, BWV 1079 : « Ricercare a 6 » (orchestration Thomas Lacôte, création) – Der Gerechte kömmt um
Unsuk Chin : Concerto pour violon n° 2 « Scherben der Stille »
Yann Robin : Requiem Æternam ‑ Monumenta II (création)

Leonidas Kavakos (violon), Jean‑Frédéric Neuburger, Wilhem Latchoumia (piano), Lucile Dollat (orgue)
Chœur de Radio France, Roland Hayrabedian (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Radio France, Kent Nagano (direction)


Y. Robin (© Christophe Abramowitz)


Les volumes de la Philharmonie de Paris étaient tout désignés pour accueillir la création du Requiem Æternam de Yann Robin (né en 1974). Sur un Philharmonique de Radio France réuni en grand conclave se greffent un orgue, deux pianos, un chœur mixte de quarante‑huit voix et un ensemble vocal de douze voix placé en premier cercle autour du chef. Effectif berliozien dirons certains, même si Monumenta II épouse sa propre courbe dramaturgique, indépendante de la Grande Messe des morts du grand Hector : ici, le Tuba mirum est psalmodié, le Rex tremendæ entonné timidement d’une voix strangulée par un baryton du chœur ; le Lux æterna final (Robin fait l’économie du Sanctus et de l’Agnus Dei), avec un clin d’œil à Ligeti, se déploie en un impressionnant crescendo. Mais le cahier des charges a bien été tenu : Lucile Dollat tire de l’orgue des sons cataclysmiques pour les trompettes du Jugement dernier, avec force clusters (on songe à Volumina de Ligeti, 1962) qui se résorbent sur une note isolée dans l’extrême aigu ; le Dies iræ, aux cinglées de percussions dévastatrices, trouve sa réplique dans un Confutatis bruitiste (claquements de mains, pianos requis dans leur potentiel percussif). Le tandem Jean‑Frédéric Neuburger (Bertrand Chamayou, initialement prévu, souffrant d’une tendinite)/Wilhem Latchoumia (ce dernier aux commandes d’un instrument accordé au la 438 Hz) brosse des arrière‑plans d’une intense activité tandis que le chœur, très bien préparé par Roland Hayrabedian, investit cette écriture en masses sonores qui oscille entre le pur et l’impur. Les bouchons d’oreilles sont de rigueur pour les musiciens les plus exposés du Philar, encadrés plus que galvanisés par la direction de Kent Nagano.


Passons sur Der Gerechte kömmt um de Bach – en réalité une adaptation d’un motet funèbre de Johann Kuhnau (1660‑1722) : texte inintelligible, décalage avec l’ensemble instrumental (dominé par une paire de hautbois), justesse approximative... c’est dire si l’on accueille la tierce picarde avec soulagement !


Le concert s’ouvrait sur une nouvelle orchestration du Ricercare a 6 de L’Offrande musicale de la main de Thomas Lacôte (né en 1982). A la fragmentation choisie par Webern, chantre de la Klangfarbenmelodie, le titulaire du grand orgue de l’Eglise de la Trinité oppose un geste beaucoup plus continu qui, loin de jouer contre l’uniformisation des pupitres, les isole tour à tour (équivalence des registrations organistiques ?) : les dernières mesures, dévolues au seul quatuor, répondent à l’incipit qui voit l’ensemble des cordes entrer à mesure que la polyphonie s’enrichit. Un travail estimable et parfaitement « entendu », mais forcément un peu académique au regard de l’exemple webernien, ce « tailleur d’éblouissants diamants » (Stravinsky).


Il a fallu la rencontre avec Leonidas Kavakos, dont Scherben der Stille (« Eclats de silence ») se veut le portrait musical, pour convaincre Unsuk Chin (née en 1961) de composer un second concerto pour violon, vingt ans après le précédent. Une petite cellule de cinq notes constitue le noyau de la partition ; elle réapparaîtra parée de nouvelles toilettes et dotée de différentes charges expressives au cours des vingt‑cinq minutes de l’œuvre. Souvent sollicitée dans le registre élevé, la partie soliste allie l’obsessionnel et la fragilité, avec des figures récurrentes et des sonorités diaphanes auxquelles l’orchestre se fait l’écho : glissandos en harmoniques, jeu sul ponticello... Mais la partition de Chin n’a rien d’un catalogue d’effets gratuits, bien au contraire ; on déguste des trésors d’orchestration, comme l’usage parcimonieux des percussions (où officient cinq musiciens), des textures mouvantes aux arrêtes anguleuses ou aux lignes consonantes. Frappe le plaisir de jouer des interprètes, Kavakos au premier chef, très sobre dans sa gestique – jusque dans la virtuose cadence. Nagano opte pour une conduite narrative, sans rien sacrifier des sortilèges dont la compositrice a parsemé son concerto coulé dans une forme – comme toujours chez elle – très réfléchie. Concerto appelé, gageons‑le, à un bel avenir !



Jérémie Bigorie

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com