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Un artiste exilé

Bruxelles
Bozar, Salle Henry Le Bœuf
02/05/2023 -  
Serge Rachmaninov : Rhapsodie sur un thème de Paganini, opus 43 (*) – Scherzo en ré mineurConcertos pour piano n° 3, opus 30, et n° 4, opus 40
Behzod Abduraimov (*), Denis Kozhukhin (piano)
Belgian National Orchestra, Cristian Măcelaru (direction)


B. Abduraimov (© Evgeny Eutykhov)


Presque un an après un premier festival, consacré à Chostakovitch (voir ici et ici), le Bozar et l’Orchestre national de Belgique unissent à nouveau leurs efforts pour en organiser un autre, du 2 au 5 février, qui met cette fois à l’honneur Rachmaninov, à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de sa naissance. Le principe demeure identique : des concerts symphoniques, des récitals, l’un de Nikolaï Lugansky, l’autre, le dimanche matin, du duo formé par Kanako Ninomiya et Sara Vujadinovic, un concert choral – les Vêpres par le Chœur de la Radio lettonne – et une conférence de Ruben Goriely, auteur d’un des deux textes du programme, l’autre étant de Francis Maes.


Les deux concerts de l’orchestre, le vendredi et le dimanche, tous deux sous la direction de Cristian Măcelaru, se concentrent sur les quatre Concertos pour piano et la Rhapsodie sur un thème de Paganini, un choix évidemment défendable, compte tenu de la relative rareté des Premier et Quatrième Concertos, mais qui nous prive d’entendre des compositions aussi essentielles et stimulantes que les Danses symphoniques, Les Cloches – qui nécessite, il est vrai, en plus d’un orchestre, un chœur et des solistes – ou la Deuxième Symphonie, autant d’œuvres qui auraient probablement chacune occupé, de par leurs dimensions, toute une seconde partie. Quelques jours supplémentaires auraient permis d’entendre de la musique de chambre ou des mélodies, pourquoi pas aussi un des opéras en version de concert, mais réjouissons‑nous de cette offre, du retour à des conditions normales, après l’horrible pandémie, et son lot de privations, et, surtout, du refus de boycotter inconsidérément la musique et les interprètes russes, malgré l’agressive et injuste guerre menée par Poutine en Ukraine, d’autant plus que Rachmaninov a dû s’exiler pour fuir la révolution de 1917.


Deux pianistes se partagent les concertos. Le concert du dimanche après‑midi débute avec la Rhapsodie sur un thème de Paganini (1934) par Behzod Abduraimov, qui semble la jouer sans le moindre effort. La cohérence interprétative pose toutefois un peu question, à cause d’un jeu versatile, écarté, voire écartelé, entre toucher pointu, délicat, cristallin et aplats appuyés. L’auditeur gagne en effets et en jeux sur les sonorités ce qu’il perd en unité, mais cette prestation tantôt palpitante, tantôt banale, n’en suscite pas moins une certaine admiration par sa maitrise purement digitale.


Avec Denis Kozhukhin dans le Quatrième Concerto (1927), le piano ne sonne absolument plus pareil. Profondément habité, pénétré, même, par cette musique, le pianiste l’exprime intensément, mais sans insolence ni prétention, mettant en exergue une virtuosité impressionnante, et pas uniquement lors des montées en puissance, et une sonorité splendide, d’une grande densité. Contrairement à son confrère, le vainqueur du Concours Reine Elisabeth en 2010 captive, dès les premières mesures, par son jeu juste et sans ostentation, et séduit, et même touche, par son naturel et son authenticité. Nous nous réjouissons donc, non sans soulagement, de le retrouver en seconde partie pour le Troisième Concerto (1909). Sa prestation convainc une fois de plus de la grande maturité de ce pianiste qui, grâce à de stupéfiants moyens, concrétise parfaitement ses nobles et claires intentions ; à la maîtrise de la forme s’ajoutent le souci du détail, la profondeur du chant, le sens du récit. Ces deux exécutions parcourues par un souffle véritablement épique révèle un interprète accompli de Rachmaninov.


Intercalé, dans la première partie, entre la Rhapsodie et le Quatrième Concerto, le Scherzo (1887), une brève page de jeunesse qui fait un peu penser à Mendelssohn, permet aux bois et aux cordes de brillamment s’illustrer. Mais tous les pupitres se montrent excellents, en dépit du faux départ et de la brève confusion qui s’en est suivie entre les deuxième et troisième mouvements du Troisième Concerto, heureusement vite rattrapés par un chef, par ailleurs scrupuleux et attentif à maintenir un bon équilibre entre le soliste et l’orchestre. Ce qui peut paraitre un détail n’en est pas vraiment un, en réalité, compte tenu de l’importance cruciale de cette transition, laquelle, si elle est bien réglée, fait toujours beaucoup d’effet, mais dans l’ensemble, l’orchestre affiche bel et bien sa rigueur habituelle durant ce long et beau concert.



Sébastien Foucart

 

 

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