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La lune, nid d’espions Metz Opéra-Théâtre 01/25/2023 - et 27, 29* janvier 2023 Joseph Haydn : Il mondo della luna, Hob. XXVIII.7 Sébastien Droy (Ecclitico), Mireille Lebel (Ernesto), Enguerrand de Hys (Cecco), Romain Dayez (Buonafede), Catherine Trottmann (Flaminia), Déborah Salazar (Clarice), Pauline Claes (Lisetta)
Chœur d’hommes de l’Opéra‑Théâtre de l’Eurométropole de Metz, Nathalie Marmeuse (préparation), Orchestre national de Metz Grand Est, Victor Rouanet (direction musicale).
Pierre Thirion-Vallet (mise en scène), Frank Aracil (scénographie), Véronique Henriot (costumes), Véronique Marsy (lumières)
(© Luc Bertau)
On sait qu’Antal Dorati fit beaucoup pour la diffusion des opéras de Haydn en enregistrant pour Philips l’intégralité de ses ouvrages lyriques composés au château d’Esterháza. A la scène, ces opéras sont malheureusement encore par trop rares, cette production du Monde de la lune à l’Opéra‑Théâtre de Metz (provenant de Clermont‑Ferrand, ville coproductrice d’un spectacle imaginé par Pierre Thirion‑Vallet, le directeur de l’institution auvergnate) faisant presque figure de privilégiée.
L’opéra fut composé en 1777 pour les noces d’un des fils du prince Nicolas le Magnifique, sur un livret d’un auteur inconnu, d’après une pièce de Goldoni. Dans cet ouvrage, Ecclitico est un faux savant qui soutire des fonds à des bourgeois candides. Parmi ces derniers, le riche Buonafede, à qui il fait croire qu’il peut l’emmener sur la lune, planète formidable où les vieillards séduisent les jeunes filles, et où les hommes commandent en tout, et mènent les femmes par le bout du nez ! A ce premier épisode s’agrège une double intrigue amoureuse, car Buonafede a deux filles, Clarice et Flaminia, que courtisent le chevalier Ernesto et Eccletico lui‑même. Après moult péripéties et imbroglios, tout finit par une réconciliation et dans la joie générale.
L’action est ici transposée en 1969, en pleine guerre froide, et à la veille de la conquête de la lune par les Américains. Ecclitico, grimé en sosie d’Einstein, est un espion russe infiltré, missionné pour subtiliser le projet « Objectif Lune », flanqué par Ernesto et Cecco qui lorgnent par ailleurs sur les filles du savant. Tous les récitatifs de l’œuvre originale sont dès lors supprimés et remplacés par un texte imaginé par Pierre Thirion‑Vallet pour « coller » à la nouvelle intrigue. Mais le nouveau texte – en français – a du mal à fusionner avec les airs chantés en italien, et la sauce peine à prendre. S’inspirant à la fois des comédies musicales et des émissions télé de l’époque, la mise en scène provoque certes parfois une franche hilarité, mais se situe trop souvent en dessous la ceinture, avec un machisme et une misogynie qui font tâche à l’heure de #MeToo.
Par bonheur, la distribution ne connaît pas de telles faiblesses, hormis peut‑être la jeune soprano Catherine Trottman, qui doit se battre avec la virtuosité du premier air de Flaminia. Déborah Salazar (Clarice) s’en tire mieux, et fait valoir une voix plus corsée qui rivalise de souplesse et de facilité. Belle incarnation aussi pour la mezzo belge Pauline Claes, Lisetta d’un piquant savoureux, tandis que la quatrième voix féminine, la soprano québécoise Mireille Lebel endosse à merveille les habits du rôle travesti d’Ernesto (confié à l’origine à un castrat), doublé par un chant généreux et probe.
Côté masculin, Sébastien Droy (Ecclitico) possède la présence physique évidente qu’on lui connaît, et dans la voix la détermination de celui qui est résolu à employer les grands moyens, même détournés, pour parvenir à ses fins. Dans le rôle de Cecco, Enguerrand de Hys prête son incroyable vis comica, ainsi qu’une maîtrise accomplie d’une voix souple et parfaitement projetée. Enfin, le baryton wallon Romain Dayez ne fait qu’une bouchée du personnage de Buonafede, avec des qualités vocales qui vont de pair avec un exceptionnel tempérament scénique. Loin de toute caricature et de tout simplisme benêt, il apporte à son personnage une naïveté joyeuse et plus de complexité qu’on n’attend dans ce rôle, ce qui lui vaut un succès amplement mérité aux saluts.
En fosse, enfin, remplaçant presque au pied levé le directeur musical de la formation messine, David Reiland, souffrant, son jeune assistant Victor Rouanet dirige avec beaucoup d’efficacité, de précision et de souplesse. Il livre une interprétation classique et bien proportionnée, en tenant bien les difficiles ensembles et finals, mais on sent néanmoins que l’orchestre n’est pas très coutumier de ce répertoire dont il ne parvient pas toujours à restituer toutes les couleurs.
Emmanuel Andrieu
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