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Le retour triomphal de Peter Grimes Paris Opéra Bastille 01/26/2023 - et 29 janvier, 1er*, 4, 7, 11, 14, 19, 24 février 2023 Benjamin Britten : Peter Grimes, opus 33 Allan Clayton (Peter Grimes), Maria Bengtsson (Ellen Orford), Simon Keenlyside (Captain Balstrode), Catherine Wyn‑Rogers (Auntie), Anna‑Sophie Neher, Ilanah Lobel‑Torres (Nieces), John Graham‑Hall (Bob Boles), Clive Bayley (Swallow), Rosie Aldridge (Mrs. Sedley), James Gilchrist (Reverend Horace Adams), Jacques Imbrailo (Ned Keene), Stephen Richardson (Hobson)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Ching‑Lien Wu (cheffe des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Alexander Soddy (direction musicale)
Deborah Warner (mise en scène), Michael Levine (décors), Luis Carvalho (costumes), Peter Mumford (lumières), Justin Nardella (vidéo), Kim Brandstrup (collaborateur aux mouvements)
S. Keenlyside, A. Clayton (© Vincent Pontet/Opéra national de Paris)
Quatre décennies après la production d’Elijah Moshinsky, avec Jon Vickers, deux décennies après celle de Graham Vick, avec Ben Heppner, Peter Grimes revient enfin à l’Opéra à travers celle de Deborah Warner.
Des cintres descend un jeune pêcheur : avant son procès, Grimes revoit l’apprenti dont on l’accuse d’avoir causé la mort. Il revient à la fin, identifié à son propre destin, quand la mer a donné le repos à son âme tourmentée. Deborah Warner signe une production très fidèle à l’opéra de Britten, d’une grande justesse psychologique dans la caractérisation des personnages, qui, venin ou empathie, rend à chacun sa vérité. Et le chœur n’est pas moins remarquablement dirigé. Il ressemble au début à une nuée de corbeaux prêts à fondre sur leur proie, devient plus loin une meute carnavalesque détruisant l’effigie de Grimes en un sinistre rituel de mise à mort. Dans un décor unique d’une grande sobriété, où une barque échouée suggère les naufrages, où les lumières superbes de Peter Mumford symbolisent la mer omniprésente, le petit village vit sa vie misérable, au rythme des pêches, des tempêtes et des virées au pub, rongé par une haine de la différence que l’institutrice et le capitaine retraité échouent à apaiser. La scène où, saisis aussi par le doute malgré eux, ils abandonnent Grimes à son destin, est poignante. C’est ce troisième acte, d’ailleurs, qui émeut le plus, la Britannique optant en général pour une certaine distanciation esthétisante, afin sans doute, d’éviter toute surenchère.
Ce spectacle aux superbes images trouve son écho dans la direction claire et colorée, très maîtrisée d’Alexander Soddy, nouveau venu à l’Opéra. A peine regrette‑t‑on parfois qu’elle ne soit pas plus tendue. Les six Interludes, en tout cas, sont bien les tableaux évocateurs où la musique donne à voir. Colosse hirsute, entre force brute et tendresse refoulée, Allan Clayton déploie une ligne artistement galbée mais jamais apprêtée, que même les accès de violence ne débraillent pas, la beauté du timbre et l’aisance de l’aigu donnant au personnage une sorte d’innocence brisée – anthologique monologue du dernier tableau. Balstrode à la fois bourru et bienveillant, Simon Keenlyside affiche à plus de 60 ans une impressionnante santé vocale. Si médium et grave manquent à l’Ellen lumineuse et blessée de Maria Bengtsson, elle révèle, quand la voix se meut plus haut, un phrasé subtilement galbé et offre de véritables moments de grâce – telle la rêverie « Embroidery in childhood » au troisième acte. Le quatuor vocal du deuxième, avec les nièces délurées d’Anna‑Sohpie Neher et Nanh Lobel‑Torres et la Tantine haute en couleur de Catherine Wyn‑Rogers, en est un aussi. On pourrait citer tout le monde, de Rosie Aldridge, impayable et détestable en Mrs. Sedley rentière fouineuse, au Ned Keene de Jacques Imbrailo, parfaitement campé, en passant par le Swallow sentencieux de Clive Bayley et le Bob Boles haineux de John Graham‑Hall.
Déjà vu à Madrid et à Londres, ce Peter Primes, après un Tristan et Isolde indigne de son rang, redonne quelque lustre à l’Opéra de Paris.
Didier van Moere
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