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L’élan vital de Martinu Paris Centre tchèque 03/11/2002 -
Bohuslav Martinu : Bergerettes, H. 275 - Cinq pièces brèves (Trio avec piano n° 1), H. 193 - Quatuor avec piano, H. 287 Leos Janacek : Le Conte
Ensemble Calliopée
Ecrites sur une période de seulement douze ans, mais toutefois très différentes, les trois œuvres de Martinu présentées au cours du troisième des quatre concerts que l’Ensemble Calliopée consacre à ce compositeur (voir respectivement ici et ici le compte rendu des deux premières soirées) mettaient en lumière le formidable élan vital qui caractérise si souvent sa musique. Et ce, quelles que fussent les circonstances, souvent tragiques, dans lesquelles elle vit le jour.
Elan vital tourné vers le terroir, mais aussi vers la jeune Vitezslava Kapralova, dans les Bergerettes pour trio avec piano (Paris, février 1939). Martinu n’entendit jamais ces cinq pièces de forme simple A-B-A’ (A’ étant souvent une reprise textuelle de A et B contrastant fortement avec A) qui alternent de dynamiques souvenirs de la patrie (poco allegro initial, moderato final, dans la veine de la cantate Bouquet de fleurs composée deux ans plus tôt) et des épisodes élégiaques (andantino).
Elan vital plus constructiviste, évoquant Hindemith ou Schulhoff, dans les Cinq pièces brèves écrites neuf ans plus tôt (et en dix jours!) pour la même formation. Plus abstraites, plus détachées, en un sens, il n’est pas étonnant qu’à la différence des Bergerettes, elles aient reçu le sous-titre de (Premier) Trio avec piano. Passionnante confrontation qui montre dans cette seconde œuvre un langage harmonique plus complexe, un discours parfois péremptoire et laconique. Hormis l’inventivité et la verve qui les caractérisent, ces pièces n’ont que peu à voir avec le premier recueil, même si l’expression y tient également sa place (adagio, seul morceau lent, mais le plus développé, placé en deuxième position).
Après Stravinski et Bartok dans les deux premiers concerts, Martinu était accompagné, cette fois-ci, de Leos Janacek, avec son Conte pour violoncelle et piano. Rapprochement opportun, au-delà de la simple appartenance nationale, car Martinu a lui-même composé au moins deux pièces intitulées « conte », celui du premier cycle de ses Marionnettes (1924) et celui offert à Kapralova pour son vingt-cinquième anniversaire, quelques semaines avant les Bergerettes. Avec Le Conte (1910, révisé en 1923), la manière de Janacek - faite de courtes cellules et d’effusions brusquement interrompues - et l’originalité de l’écriture (fréquent usage du pizzicato) sont aisées à identifier, dans cette pièce qui se situe à égale distance de la Sonate « 1er octobre 1905 » et de Taras Bulba, également inspiré par la littérature russe. L’œuvre est en effet fondée sur une légende féérique narrée par le poète Joukovski (1783-1852), mais ses trois courtes sections, si elles ont un caractère rhapsodique voire dramatique très marqué, ne collent pas pour autant de façon linéaire à la continuité de l’action et ne visent même pas à en décrire des moments forts. Ainsi que le faisait fort justement remarquer Guy Erismann, qui, comme de coutume, présentait ce concert, Janacek privilégie ici l’atmosphère générale et met en scène un récit, non une action.
Retour à Martinu, pour terminer, avec le Quatuor avec piano (New York, avril 1942). Si l’acoustique de l’auditorium du Centre tchèque favorise peu la fusion des timbres, elle offre en contrepartie un éclairage puissant sur l’importance du travail contrapuntique. Tragique, parfois haché ou torrentiel, le poco allegro initial laisse la place à un adagio qui peut être considéré comme le pivot de l’œuvre et qui annonce le climat cathartique des mouvements lents des Première et Quatrième symphonies: après une longue et puissante prière confiée aux seules cordes, le piano apporte légèreté, voire détente, mais les cordes auront le dernier mot, dans un climat apaisé, sinon serein. L’allegretto poco moderato final, dans lequel le piano, à son tour, se voit confier deux interventions solistes, conclut sur une note résolument optimiste. Elan vital retrouvé, comme dans la Première symphonie à laquelle Martinu s’attelle dès l’achèvement de ce Quatuor (cette symphonie sera d’ailleurs donnée le 18 avril prochain au Théâtre des Champs-Elysées par l’Orchestre national de France dirigé par Zdenek Macal, une rare occasion à ne pas manquer).
Dans cette musique qui requiert à la fois précision et virtuosité, le Trio des Iscles (Frédéric Lagarde, Pierre-Olivier Queyras et Véronique Marin), renforcé par un autre membre de l’Ensemble Calliopée (Karine Lethiec à l’alto), apporte une manière musclée et carrée à ce répertoire qu’il connaît bien pour l’avoir enregistré il y a déjà quelques années.
Ultime concert de la série le mardi 2 avril prochain, avec, sous réserves, les Promenades, la Sonate pour flûte et piano, la Troisième sonate pour violon et piano la Madrigal-sonate pour flûte, violon et piano.
Simon Corley
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