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Du crépuscule à l’orgie

Strasbourg
Palais de la Musique
01/26/2023 -  et 27* janvier 2023
Wolfgang Amadeus Mozart : Symphonie n° 25 en sol mineur, K. 173dB [183]
Richard Strauss : Quatre derniers Lieder
Richard Wagner : Tannhäuser : Ouverture
Alexandre Scriabine : Le Poème de l’extase, opus 54

Elza van den Heever (soprano)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Joseph Swensen (direction)


J. Swensen (© Grégory Massat)


Changement complet de distribution, pour ce concert de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg qui devait être dirigé par Oksana Lyniv, avec en soliste Rachel Harnisch. Finalement la cheffe ukrainienne a dû annuler tous ses engagements pendant quelques mois pour raisons de santé, remplacée par Joseph Swensen, et la soprano suisse a dû elle aussi faire le ménage dans son agenda, cédant la place à Elza van den Heever. Ne subsiste de la soirée initialement annoncée que son programme, très séduisant, encore qu’on ait quelque peine à comprendre en quoi le titre « Liberté chérie » figurant sur l’affiche puisse trouver ici une quelconque pertinence.


Début très Sturm und Drang, avec la Vingt‑Cinquième Symphonie de Mozart, souvent appelée la « petite sol mineur » par opposition à « l’autre sol mineur », la célèbre K. 550, de quinze années postérieure. Une symphonie de jeunesse, mais déjà captivante, avec des lignes de force très marquées, que Joseph Swensen met en valeur dès les toutes premières mesures, en imposant d’emblée une agogique très décidée. La gestique du chef américain, qui semble vouloir perpétuellement propulser l’orchestre vers l’avant, est particulière, mais force est de constater qu’elle est efficace. Les phrases sont bien découpées, en grandes coulées d’énergie, l’orchestre respire : un Mozart agréable, dont l’originalité d’écriture se suffit à elle‑même, sans qu’il y ait besoin d’abuser de tics d’interprétation historiquement informés. Traditionnel aussi, un effectif très « symphonique », avec dix premiers violons qui ne lésinent pas sur le vibrato, ce qui achève d’inscrire cette exécution dans un pré‑romantisme bien assumé.


Le chef d’orchestre Richard Strauss, à son époque découvreur assidu de larges pans de l’œuvre de Mozart tombés dans l’oubli, aurait‑il pu diriger cette symphonie comme cela ? Il nous reste de lui un bel enregistrement de la « grande » sol mineur K. 550, dans un style assez voisin, donc la réponse paraît plutôt oui. Mais place ici au Richard Strauss compositeur, et sur son versant le plus apaisé : ces Vier letzte Lieder écrits dans son grand âge, après l’effondrement d’un monde. Des lieder qu’il est impossible d’écouter au concert en faisant abstraction d’un vécu discographique forcément plus artificiel, mais où le sublime surabonde. En public, devant un orchestre plus que généreux en volume, les perspectives sont bien différentes, au point d’ailleurs qu’on peut encore se demander aujourd’hui quel type de voix féminine peut s’y avérer le plus pertinent. Mieux qu’une grande voix dramatique, dont le volume brut risque d’écraser les perspectives, en définitive un soprano lyrique bien homogène du bas en haut de la tessiture semble le plus adapté. Ce que la soprano sud‑africaine Elza van den Heever n’est pas vraiment. L’aigu, relativement lumineux, passe bien, mais au point d’en paraître proéminent, presque trop soutenu, au‑dessus d’un medium beaucoup moins charpenté. Difficile de donner de la substance aux textes dans de telles conditions, a fortiori quand le chef n’incite pas toujours l’orchestre à la modération. On en retire une curieuse impression de chant en pointillés, beaux moments d’envol séparés par beaucoup trop d’instants où la voix se laisse effacer par les instruments. Timidité ? Méforme passagère ? Dommage, car une véritable émotion reste bien palpable, et bien relayée par de splendides parties d’orchestre (cor, flûtes, cordes, et bien sûr le beau solo de violon de Charlotte Juillard...).


Seconde partie de concert orgiaque, rien moins, où Joseph Swensen peut déchaîner un orchestre qui lui répond comme une énorme machine lancée à plein régime. Il y a quelque chose d’écrasant dans cette Marche des pèlerins de l’Ouverture de Tannhäuser, suivie d’une Bacchanale sensuelle à souhait, et plus encore dans les progressions harmoniques du Poème de l’extase de Scriabine, mais sans perte de contrôle, Swensen entretenant en permanence l’avancée en multipliant, très sportivement, d’incessants mouvements ascendants des bras. En revanche, quand il s’agit de stopper la masse tout net, c’est parfois plus difficile, en particulier sur l’ultime accord de Scriabine, moins fracassant et décidé qu’attendu. Minime frustration, à l’issue de ce parcours échevelé où le chef semble s’amuser à pousser tous les déchaînements de sensualité aux limites du mauvais goût, mais tout en s’en tenant exactement à des dosages très précis, qui font qu’on adhère, sans jamais s’en formaliser, à cet usage immodéré du Cinémascope et du Technicolor.



Laurent Barthel

 

 

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