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Une réussite vocale Lyon Opéra 01/20/2023 - et 22, 24, 26, 28, 30 janvier, 1er février 2023 Gioachino Rossini : Moïse et Pharaon Michele Pertusi (Moïse), Alex Esposito (Pharaon), Vasilisa Berzhanskaya (Sinaïde), Ruzil Gatin (Aménophis), Ekaterina Bakanova (Anaï), Mert Süngü (Eliezer), Géraldine Chauvet (Marie), Alessandro Luciano (Aufide), Edwin Crossley‑Mercer (Osiride, Une voix mystérieuse), Laurène Andrieu (Princesse Elegyne)
Chœurs de l’Opéra de Lyon, Benedict Kearns (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra de Lyon, Daniele Rustioni (direction musicale)
Tobias Kratzer (mise en scène), Rainer Sellmaier (décors, costumes), Bernd Purkrabek (lumières), Jeroen Verbruggen (chorégraphie), Manuel Braun (vidéo)
(© Blandine Soulage)
Composés sur des livrets en français, les cinq derniers opéras de Rossini restent encore en grande partie méconnus du grand public, à l’exception du tout dernier, Guillaume Tell (1829), régulièrement accueilli sur les plus grandes scènes, comme à Lyon voilà quatre ans, déjà dans une production confiée à Tobias Kratzer. Contrairement à Otello, Moïse et Pharaon (1827) est l’adaptation d’un ouvrage précédemment écrit pour Naples, que les Parisiens ne connaissaient pas. Avec un livret réécrit et de nouvelles pages composées pour l’occasion, l’avant‑dernier opéra de Rossini s’est imposé comme l’une des pépites les plus attendues par les connaisseurs, tant il annonce Verdi par ses spectaculaires et majestueux chœurs, évoquant Nabucco, sans parler de ses nombreux ensembles savamment distillés tout du long des près de 4 heures de spectacle.
Si le premier acte se montre un rien inégal sous la baguette déchaînée de Daniele Rustioni, qui ne s’embarrasse pas de subtilités dans les verticalités volontiers péremptoires, la suite prend davantage de profondeur avec les états d’âme d’Aménophis et de sa mère, d’une intensité expressive digne des plus grandes pages du Cygne de Pesaro. Ces passages plus apaisés bénéficient de la baguette sensible de Rustioni, qui fait valoir plusieurs pianissimi admirablement soutenus par les interprètes. En dehors de la direction tour à tour féline et extravertie de Rustioni, le plateau vocal constitue le grand atout de cette production, d’une homogénéité de très bon niveau jusque dans les moindres seconds rôles.
A l’applaudimètre, Vasilisa Berzhanskaya (Sinaïde) remporte une ovation méritée à l’issue de la représentation, impressionnant autant par l’étendue de ses moyens que sa technique sans faille. Sa puissante voix se joue ainsi des nombreux sauts de registre avec souplesse, tout en imposant couleurs et intentions au niveau dramatique, dans les parties plus apaisées. C’est précisément en ce domaine que Ruzil Gatin (Aménophis) peine à maîtriser sa voix musculeuse, n’évitant pas un timbre métallique au vibrato disgracieux dans les piani. Seule l’émission en pleine voix le voit à son meilleur, malgré un style un rien trop débraillé, sans parler de son français exotique. C’est là le point fort de Michele Pertusi (Moïse), spécialiste du rôle et de ce répertoire (voir notamment Le Siège de Corinthe de Rossini à Lyon en 2001), malgré un timbre bien fatigué par les années. Fort heureusement, sa noblesse de phrasé emporte l’adhésion sur la durée, comme sa justesse dramatique, jamais prise en défaut. On aime aussi le superlatif Pharaon d’Alex Esposito, qui nous empoigne dès son entrée par sa présence pénétrante au service du texte, à force de graves parfaitement projetés, même en fond de scène. Malgré quelques approximations dans les accélérations, Ekaterina Bakanova compose quant à elle une Anaï touchante et au chant généreux – bien épaulée par le solide Edwin Crossley‑Mercer (Osiride, Une voix mystérieuse), à ses côtés. Si le chœur peine parfois dans les passages vifs, dont le texte est peu compréhensible, il se rattrape par la suite dans les parties plus apaisées, tout comme dans la belle prière finale, entonnée parmi le public du parterre.
La production imaginée par Tobias Kratzer cherche d’emblée à muscler l’intrigue en transposant l’action de nos jours, transformant la cour du Pharaon en une arène politique froide et peu sensible au sort du peuple juif grimé en migrants. Dans ce cadre, les catastrophes climatiques montrées sur grand écran font office de châtiment divin, tandis que sur la scène, une fontaine publique change son eau en sang : autant de signes annonciateurs du miracle conclusif attendu, où les Juifs échappent à leurs poursuivants laminés par les eaux. En fin de compte, cette transposition reste assez fidèle à l’ouvrage, tout en incorporant des éléments visuels bien en phase avec le propos, tel le ballet, aussi dynamique qu’haletant pour ses interprètes, très sollicités pour l’occasion. De quoi animer l’action, rehaussée d’une réflexion sociale sur l’égoïsme des puissants par rapport au sort des migrants : une idée bienvenue, mais malheureusement trop simpliste dans son développement, souvent redondant.
Florent Coudeyrat
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