About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

« Mademoiselle » et ses amis

Paris
Maison de la radio et de la musique
01/11/2023 -  
Walter Piston : A Symphonic Prelude
Elliott Carter : Concerto pour flûte et ensemble
Gabriel Fauré : Fantaisie pour flûte et orchestre, opus 79 (orchestration Louis Aubert)
Nadia Boulanger : Trois pièces pour violoncelle et piano
Aaron Copland : Symphonie pour orgue et orchestre

Emmanuel Pahud (flûte), Lucile Dollat (orgue) Renaud Guieu (violoncelle), Catherine Cournot (piano)
Orchestre philharmonique de Radio France, Mikko Franck (direction)


N. Boulanger


Nadia Boulanger, ce fut pour toute une génération de compositeurs et d’interprètes, ceux qui sont allés régulièrement la voir chez elle, dans le 9e arrondissement de Paris, ou au Conservatoire américain de Fontainebleau, « la dame qui entendait tout ». Celle qui était capable de corriger de visu, dès la toute première lecture, une faute qui avait échappé à un compositeur venu lui soumettre une partition manuscrite, ou qui pouvait avoir l’aplomb de tancer un Leonard Bernstein de 58 ans se mettant au piano pour lui interpréter une chanson, à propos d’un si bémol qui, « ah non, n’était pas supportable dans l’harmonie à cet endroit‑là, trop banal ». Une sorte d’oracle, dont tous les témoins qui ont bénéficié de son enseignement ont gardé des souvenirs indélébiles. « Mademoiselle », pour ces élèves et disciples, qui se sont comptés par centaines, voire ont largement dépassé le millier, en provenance des quatre coins du monde. Rien que du côté des compositeurs : Gershwin, Bernstein, Sessions, Carter, Piazzolla, Copland, Markevitch, Glass, mais aussi Michel Legrand, Lalo Schifrin... Et si l’on y rajoute, jeune, l’enseignement reçu par Nadia Boulanger auprès de Vierne, Enesco, Ravel, Fauré, on prend la mesure de l’ampleur phénoménale d’un tel parcours.


Rendre hommage à une personnalité aussi importante, moins par sa propre carrière de compositrice, au demeurant pas négligeable, que par l’influence qu’elle a pu exercer sur tout un siècle de création, est une très belle initiative, surtout sous la forme de ce cycle de cinq concerts aux programmes particulièrement variés et originaux. Seul problème : choisir ! En définitive, hors l’avant‑garde des années post‑1945, dont certains chefs de file parlaient de « la boulangerie » (sic) avec un dédain ouvertement affiché, c’est le XXe siècle musical quasiment tout entier qui pourrait entrer de près ou de loin dans la thématique, et il faut bien s’arrêter quelque part. En l’occurrence, le menu reste riche, varié, et fait la part belle aux découvertes. Une très bonne idée, et un cycle à suivre de près, à l’Auditorium de Radio France, jusqu’au 29 janvier.


Ce premier concert ne réunit que des partitions de premier rayon, et quasiment toutes inconnues, ou du moins très peu fréquentées. Mikko Franck et l’Orchestre philharmonique de Radio France n’ont aucun mal à défendre A Symphonic Prelude de Walter Piston, commandé en 1961 par une association d’orchestres symphoniques américains pour servir de prélude direct à la Neuvième Symphonie de Beethoven, et encore moins la passionnante version originale, pour orgue et orchestre, de la Première Symphonie d’Aaron Copland. Des musiques d’un pragmatisme à chaque fois très américain, bénéficiant d’un sens affûté du spectaculaire mais aussi d’une vraie science de l’écriture d’orchestre. Des conduites thématiques originales, associant les instruments par groupes peu prévisibles (dont ce début, très debussyste, de l’Organ Symphony de Copland, avec juste un alto solo et une flûte), et aussi un vrai sens de l’impact, avec des tutti retentissants mais toujours « comfortable », au sens particulier anglais du mot. Les dialogues entre l’orchestre de Copland et l’orgue (véritablement un second orchestre, tenu par Nadia Boulanger lors de la création à New York en 1925, et ce soir par une Lucile Dollat très concentrée) sont passionnants, et l’apothéose finale vaut son pesant de spectaculaire : un jalon séduisant dans le répertoire réduit des partitions pour orgue et orchestre.


Juste avant Copland, un peu de musique de chambre, avec trois pièces pour violoncelle et piano de Nadia Boulanger, interprétées avec sensibilité et panache par Renaud Guieu et Catherine Cournot, tous deux membres de l’orchestre. Des musiques à la fois bien marquées d’influences historiques reconnaissables (la première très fauréenne, la dernière d’un dynamisme qui fleure davantage ses années vingt), mais d’une qualité d’écriture qui fait assurément regretter que Nadia Boulanger n’ait pas davantage développé sa propre trajectoire créatrice pour mieux se mettre au service de celle des autres.


Créateur du Concerto pour flûte d’Eliott Carter en 2008, Emmanuel Pahud revient défendre cette partition plus que tardive, écrite par un compositeur centenaire. Il y met comme à l’accoutumée une conviction et une puissance de son qui coupent court à tout ennui, parvenant sans peine à imposer une conduite quasiment dramatique de sa partie, enchaînant des phrases volubiles et imprévisibles comme un monologue théâtral à suspense. Le dialogue concertant laisse en revanche plus sceptique, avec des entrées d’orchestre et des ponctuations de percussions dont les rapports avec la partie soliste restent un peu anarchiques, ou du moins d’une abstraction pas forcément très éloquente.


Consolation ensuite avec une Fantaisie pour flûte de Fauré d’une élégance absolue, et plus encore avec l’époustouflant Syrinx de Debussy donné en bis, d’un modelé et d’une variété d’attaques qui laissent rêveur.



Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com