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Dissection post-romantique

Baden-Baden
Festspielhaus
12/04/2022 -  et 3 (London), 6 (Bruxelles) décembre 2022
Gustav Mahler : Symphonie n° 9 en ré majeur
London Philharmonic Orchestra, Vladimir Jurowski (direction)


V. Jurowski (© Andrea Kremper)


Les musiciens du London Philharmonic Orchestra ont joué la Neuvième Symphonie de Mahler au Royal Festival Hall le 3 décembre à 19 heures, et les voici, dès le lendemain à 17 heures, en ordre de marche sur le plateau du Festspielhaus de Baden‑Baden. Après sans doute à peine le temps de quelques raccords, ce qui s’entend au début, l’énorme effectif semblant éprouver des difficultés à trouver ses marques. Quelques hésitations, un son un peu compact... et puis rapidement tout s’arrange. Vladimir Jurowski, resté directeur de la phalange pendant dix ans, connaît parfaitement ses musiciens et remet de l’ordre. Les plans sonores reprennent du relief, l’homogénéité des cordes s’améliore, et surtout l’écoute peut redevenir beaucoup plus analytique. Une excellente occasion d’apprécier un orchestre de premier plan, doté d’une rangée de cuivres à toute épreuve, d’une petite harmonie riche en individualités (condition sine qua non pour une symphonie aussi pourvue en passages chambristes) et d’une armada de cordes d’une impeccable discipline. Seize premiers et quatorze seconds violons, pupitres, il faut le noter, quasi-intégralement féminins, douze altos, dix violoncelles, sept contrebasses... donc beaucoup de monde, mais quand même une dizaine de cordes de moins qu’à Londres la veille.


Il faut aussi un moment d’habituation à la tenue d’un chef avec lequel on s’était davantage familiarisé émergeant d’une fosse d’orchestre que dirigeant au concert. Une silhouette dégingandée et raide qui oscille beaucoup, voire sautille, ce qui n’est pas de tout repos visuellement, mais là encore l’acclimatation s’effectue assez vite. Et il ne reste plus qu’à s’immerger dans ces 90 minutes particulièrement intenses, voire psychologiquement déstabilisantes, en tout cas une musique dont on ne sort jamais complètement indemne.


On a connu cependant des lectures de l’ouvrage plus émotionnellement investies. On ne ressent jamais ici l’emprise d’une lame de fond, d’une progression psychologique inexorable jusqu’à l’anéantissement progressif de l’Adagio conclusif. Il s’agit bien davantage d’une vision distanciée, mise en place analytique d’un épisode instrumental après l’autre, au risque parfois d’un certain morcellement, particulièrement dans les deux volets centraux. On visite comme au musée, en admirant une succession de paysages et d’études de divers formats, mais la confrontation avec la grande fresque ne s’impose jamais avec une véritable évidence. Indiscutablement, tout est beau, mais d’une netteté de contours presque trop précise, sans le rien de fragilité émotionnelle qui pourrait nous bouleverser vraiment. Rappelons ce qu’est vraiment cette symphonie : un poème éperdu de désespoir, une narration romanesque quasi morbide, qui se résout en une résignation accablée. Tout cela est bien sûr présent, mais il faut en quelque sorte le déduire de ce qu’on entend, par un processus d’analyse intellectuelle. Curieuse impression, même si le résultat reste constamment intéressant, voire ébouriffant (la coda très virtuose du Rondo-Burleske).


Musicalement, l’épure est de toute beauté, servie par des premiers pupitres remarquables : le cor somptueux de John Ryan, le poétique hautbois de Ian Hardwick, le chant éperdu de Kristina Blaumane au premier violoncelle, ou encore la flûte lancinante de Juliette Bausor. Des performances individuelles qui réchauffent l’atmosphère d’une interprétation peut‑être trop factuelle, mais qui sera certainement intéressante à réécouter si elle est effectivement publiée en CD, comme d’autres éléments passés du cycle Mahler de Vladimir Jurowski à Londres (dont une excellente Quatrième, très beau jalon discographique).


Et puis, n’oublions pas de féliciter le public. La salle est généreusement remplie mais reste très silencieuse et calme, l’attention de tous est palpable, et presque personne ne tousse, ce qui dans l’Adagio, tant de fois gâché par un concert de raclements spasmodiques de larynx, renforce assurément notre plaisir d’écoute. Longs instants d’un silence recueilli à la fin, appréciable moment de suspension, à l’issue de cette mémorable démonstration d’orchestre.



Laurent Barthel

 

 

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