About us / Contact

The Classical Music Network

Nancy

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Oranges lorraines

Nancy
Opéra national de Lorraine
11/16/2022 -  et 18*, 20, 22 novembre 2022
Serge Prokofiev : L’Amour des trois oranges, opus 33
Dion Mazerolle/Mathieu Lécroart* (Le Roi de trèfle), Pierre Derhet (Le Prince), Lucie Roche (La Princesse Clarice), Anas Séguin (Léandre), Léo Vermot-Desroches (Truffaldino), Aimery Lefèvre (Pantalon), Tomislav Lavoie (Tchélio, Le héraut), Lyne Fortin (Fata Morgana), Margo Arsane (Sméraldine, Linette), Anne-Sophie Vincent (Nicolette), Amélie Robins (Ninette), Patrick Bolleire (La cuisinière), Benjamin Colin (Farfallo), Ill Ju Lee (Le maître de cérémonie), Eric Afergan, Mathieu Cazanave, Antonin Cloteau, Romain Guyot (Gardes du Prince)
Chœur de l’Opéra national de Lorraine, Guillaume Fauchère (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra national de Lorraine, Marie Jacquot (direction musiclae)
Anna Bernreitner (mise en scène), Manfred Rainer, Hannah Oellinger (décors, costumes), Paul Grilj (lumières)


(© Simon Gosselin)


La marche est célèbre, l’opéra, lui, relativement rare. L’Opéra national de Lorraine représente L’Amour des trois oranges (1921) pour la première fois, en le confiant à Anna Bernreitner, qui doit sa réputation à des spectacles destinés à un jeune public ou montés dans des lieux insolites. Le livret et la musique, d’après la pièce éponyme de Carlo Gozzi, lui inspirent une mise en scène vive, assez riche de bonnes trouvailles, mais sans surcharge d’intentions. L’esprit demeure bel et bien celui d’un conte et de la commedia dell’arte, ce qui se traduit dans les costumes, fantaisistes et colorés, et dans les décors, certes un peu frustes, mais fonctionnels et valorisés par un dispositif lumineux réussi. Le château semble provenir d’un livre d’histoires pour enfants ou d’un parc d’attractions, et le plateau tournant permet de plaisants effets dynamiques, en particuliers lorsque le prince et Truffaldino se rendent chez Créonte pour prendre possession des oranges.


Les idées, le plus souvent bonnes, jamais ratées, en tout cas toujours à‑propos, se succèdent avec fluidité les unes à la suite des autres, dans un réel souci de lisibilité – les caisses suspendues, le Manneken‑Pis, l’armoire à pharmacie, la sortie de secours ou encore le costume des trois princesses qui paraissent telles des oranges sur pieds, avant de gracieusement s’éplucher pour dévoiler leur robe. Les Ridicules, les Tragiques, les Têtes vides, les Comiques et les Lyriques portent des combinaisons blanches de protection, probablement afin de rassurer le prince hypocondriaque quant au risque de contamination. Le spectacle tient aussi en éveil grâce à la vitalité de la direction d’acteur, quasiment irréprochable, mais la seconde partie paraît plus réussie, en tout cas plus drôle. Les choristes se placent sur une plateforme autour de la scène, observant et commentant l’action, ravivant ainsi les pratiques du théâtre de la Grèce antique. Voilà assurément de quoi amuser petits et grands, mais tout cela reste gentil, presque innocent. Il manque tout de même à cette plaisante mise en scène un peu d’audace, d’irrévérence, de sarcasme, surtout pour une œuvre qui offre un si formidable potentiel.


En tout cas, quelle musique que celle de Prokofiev, décidément très inspiré dans cet opéra ! Les chanteurs et l’orchestre l’exécutent assez brillamment, mais il s’en est fallu de peu que le forfait, pour cause de coronavirus, non de l’interprète du Prince, ce qui aurait été le comble de l’ironie, mais de celui du Roi de trèfle, perturbe le bon déroulement de ce spectacle aux rouages bien huilés. L’excellent Mathieu Lécroart accomplit l’exploit de remplacer le souffrant Dion Mazerolle, en apprenant la mise en scène, mais aussi le rôle, en quelques jours à peine, une remarquable performance, d’autant plus que ce remplacement in extremis ne trahit aucun effort apparent. Le Prince, heureusement, se porte à merveille, le chanteur, du moins : Pierre Derhet s’y révèle admirable, épatant, même, tant par ses réelles aptitudes scéniques que par sa voix, claire et expressive, constamment maîtrisée, en bref parfaite pour le rôle.


Pour le reste, la distribution ne comporte quasiment aucun maillon faible, tous poussant l’action vers l’avant, et il faudrait, dans l’idéal, citer tout le monde. Parmi les prestations les plus remarquables figurent certainement celles de Léo Vermot-Desroches, impeccable en Truffaldino, une incarnation, à tous points de vue, aussi réussie que celle du Prince, sans que le comique ne tombe dans la facilité ou le vulgaire, de Lyne Fortin en Fata Morgana, de Tomislav Lavoie en Tchélio. Le Léandre d’Anas Séguin pose presque un cas de conscience : le chanteur n’encourt aucun reproche, l’investissement ne laisse vraiment planer aucun doute, mais, par sa nature et son physique, l’interprète ne donne pas vraiment l’impression qu’il s’agit en réalité d’un traître, au contraire de Fata Morgana. Dans une pièce aux personnages aussi stéréotypés, il aurait été idéal que le public perçoive dès le début son caractère pernicieux. Les chanteuses, en général, suscitent beaucoup d’intérêt, en particulier Margo Arsane, au timbre typé, qui incarne Sméraldine, mais aussi Linette, une des trois oranges, et la lumineuse Amélie Robins, idéale en Ninette toute de peps et de fraîcheur. Comment, enfin, passer sous silence le numéro très attendu de Patrick Bolleire ? Nous ne sommes vraiment pas déçus par sa savoureuse et grotesque Cuisinière, armée de sa louche géante.


Suffisamment vif et précis, l’orchestre se hisse à la hauteur de l’enjeu sous la direction particulièrement soignée de Marie Jacquot, qui veille, et parvient le plus souvent, à maintenir une balance satisfaisante avec le plateau. Les chanteurs ne doivent, en effet, pas trop forcer leur voix. Au tout début, les choristes, probablement parce qu’ils surgissent de la salle, couvrent même les musiciens, un déséquilibre qui heureusement s’estompe une fois que les solistes entrent en jeu. Si cette musique autorise plus de rutilance, de tranchant et de puissance, l’orchestre, dont la cheffe tire probablement le maximum, se montre remarquable dans la gestion des tempi, exploit non négligeable compte tenu de leur versatilité. Les chœurs, enfin, qui endossent une fonction importante dans cet ouvrage, se montrent tout à fait au point. Il faut monter plus souvent L’Amour des trois oranges.



Sébastien Foucart

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com