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Un grand chef français Paris Maison de la radio et de la musique 11/09/2022 - Henri Dutilleux : Métaboles
Serge Rachmaninov : Rhapsodie sur un thème de Paganini, opus 43 – Danses symphoniques, opus 45
Guillaume Connesson : Le Tombeau des regrets Kirill Gerstein (piano)
Orchestre philharmonique de Radio France, Stéphane Denève (direction)
S. Denève
Directeur musical de l’Orchestre de Saint‑Louis, directeur artistique du New World Symphony, après avoir été premier chef invité de l’Orchestre de Philadelphie, Stéphane Denève, tels les Monteux, Munch, Martinon et plus récemment Ludovic Morlot à Seattle ou Louis Langrée à Cincinnati, est un de ces chefs français très appréciés outre‑Atlantique, à l’image aussi de Nathalie Stutzmann, qui est désormais à la tête de l’Orchestre d’Atlanta. Rien d’étonnant : il perpétue une tradition, comme en témoignent d’emblée de superbes Métaboles de Dutilleux. Clarté des textures, rigueur et souplesse du geste, équilibre entre la couleur et le rythme, tout séduit ici, de l’incisif « Incantatoire » initial jusqu’au jubilatoire « Flamboyant » final, sans que le mystère du « Linéaire » soit éludé, que l’acuité rythmique de l’« Obsessionnel » soit émoussée – certains chefs et certains orchestres ont tendance à trop « envelopper » cette musique. Et le concerto pour orchestre que sont, de l’aveu même du compositeur, ces Métaboles, flatte la virtuosité d’un Philhar’ visiblement conquis.
On n’admire pas moins l’art des transitions à l’intérieur d’une forme très construite, qui ne caractérise pas moins la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov, jouée par un Kirill Gerstein épousant l’esprit de chaque numéro, à l’unisson de l’orchestre – on regrette seulement que celui‑ci couvre parfois le clavier. Au‑delà des variations, le pianiste russe rend à l’œuvre sa dimension de rhapsodie fantasque, notamment dans les IV, V et VIII, plein de nostalgie rêveuse dans la IX et la XVIII, jouées comme des improvisations, d’une virtuosité rutilante dans les cinq dernières – ou les accords parallèles de la VIII. Le bis reste chez Rachmaninov, avec la transcription du célèbre Liebesleid de Fritz Kreisler, à l’occasion partenaire de Rachmaninov au violon.
Attaché aussi à la musique de son temps, Stéphane Denève dirige ensuite la première française du Tombeau des regrets, de son ami Guillaume Connesson, qu’il a créé en 2017 à Philadelphie. Reste à savoir, justement, de quel temps est cette partition certes écrite de main de maître, mais qui paraît moins moderne que les Métaboles et nous renverrait plutôt à Honegger. On se souviendra donc davantage de Danses symphoniques de Rachmaninov superbement architecturées, portées par une baguette qui n’en respire pas moins très librement à travers des tempos assez larges, soucieuse de restituer l’amplitude de l’éventail dynamique. La fluidité de la lecture va de pair avec un refus de l’épanchement complaisant, dont souffre trop souvent le lyrisme mélancolique du Russe – lui‑même, d’ailleurs, s’en gardait bien. Cette sobriété n’exclut pas l’émotion – en témoigne le chant du saxophone de l’Andante con moto initial le montre bien. Le Tempo di valse garde son côté fantomatique, comme s’y croisaient aussi les ombres de Tchaïkovski et du Mahler du Chant de la nuit alors qu’on l’associe plutôt à Ravel. Le Lento assai-Allegro vivace final demeure dans les teintes sombres que le chef a élues dès le début, d’une puissance parfois noire, quasi apocalyptique – le thème du Dies Iræ, si présent chez Rachmaninov, traverse d’ailleurs ce testament musical comme il traversait les Variations. L’orchestre est superbe. Souvent identifié au répertoire français, au vu de sa remarquable discographie, le chef montre ici qu’il peut s’aventurer ailleurs avec le même bonheur.
Didier van Moere
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