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Le laboratoire de l’être humain Lausanne Opéra 11/13/2022 - et 16, 18, 20 novembre 2022 Leonard Bernstein: Candide Miles Mykkanen (Candide), Franco Pomponi (Pangloss, Martin, Cacambo), Marie Lys (Cunégonde), Anna Steiger (Old Lady), Béatrice Nani (Paquette), Stuart Patterson (Governor, 1st Senor, Vanderdendur, Crook, Sultan Achmet), Joël Terrin (Maximilian, Inquisitor 2, Judge 2, Captain, Hermann Augustus, 2nd Senor), Bastien Combe (Inquisitor 1, Judge 1, Ragotsky, Charles Edward), Raphaël Hardmeyer (Inquisitor 3, Judge 3, Tsar Ivan), Hoël Troadec (Stanislaus), Matthias Geissbühler (Croupier), Mike Winter (Narrator)
Chœur de l’Opéra de Lausanne, Patrick Marie Aubert (préparation), Orchestre de Chambre de Lausanne, Gavriel Heine (direction musicale)
Vincent Boussard (mise en scène), Gediminas Seduikis (assistant à la mise en scène), Vincent Lemaire (décors), Christian Lacroix (costumes), Robert Schwaighofer (assistant aux costumes), Nicolas Gilli (lumières), Isabel Robson (vidéo), Helge Letonja (chorégraphie)
(© Jean‑Guy Python)
A l’Opéra de Lausanne, Candide avait été la première production à faire les frais de la pandémie de covid en mars 2020, le spectacle ayant dû être annulé alors qu’il était prêt à être représenté. Eric Vigié, directeur de l’institution lyrique lausannoise, a eu la bonne idée de garder l’ouvrage sous le coude, si on peut dire, pour le proposer aujourd'hui. Une initiative à saluer car le spectacle mérite absolument d’être vu. Si, avec Candide (1956), Bernstein n’a pas eu le succès qu’il connaîtra l’année suivante avec West Side Story, l’ouvrage est de plus en plus apprécié de nos jours et est entré depuis au répertoire de nombreux théâtres, également dans l’espace francophone.
Le Candide de Bernstein suit de très près le roman éponyme de Voltaire (1755), à la notable différence que si le philosophe français critiquait dans son ouvrage l’Eglise et l’Inquisition, le compositeur américain a, lui, voulu dénoncer le maccarthysme en vigueur dans les années 1950 aux Etats‑Unis. Les deux principaux auteurs de l’œuvre, Leonard Bernstein et la librettiste Lilian Hellman, ont d’ailleurs eu personnellement maille à partir avec les tribunaux de l’époque. De surcroît, à l’occasion de la première, Bernstein avait rédigé un article dans le New York Times dénonçant le puritanisme hypocrite de l’Amérique.
Le metteur en scène de cette nouvelle production lausannoise, Vincent Boussard, a, pour sa part, choisi de ne pas mettre l’accent sur l’aspect politique de l’ouvrage pour se concentrer plutôt sur les pratiques expérimentales, telles qu’elles étaient en vogue du temps de Voltaire, pratiques qui mettent pour la première fois au centre l’être humain. La scène est ainsi une sorte de laboratoire, voire une chambre d’une clinique psychiatrique ou d’un hôpital, au‑dessus duquel une assemblée de savants (les choristes) auscultent et scrutent les moindres faits et gestes de Candide, jeune homme optimiste et amoureux qui va découvrir le monde durant un long voyage initiatique sur les deux hémisphères. Le plateau, baigné de superbes lumières particulièrement élégantes, ne contient que quelques accessoires, par exemple une baignoire suspendue dans les airs, une mappemonde, un piano ou une porte en verre, symbolisant le lieu de passage entre l’intérieur et l’extérieur. Les somptueux costumes de Christian Lacroix ajoutent une touche de raffinement supplémentaire.
Après sa création en 1956, Candide a connu de très nombreux remaniements, avec un nombre impressionnant de personnes qui se sont penchées sur son livret, jusqu’à ce que Bernstein rédige une version avec un narrateur. C’est cette version qui est présentée à Lausanne. Le narrateur, Mike Winter, explique au public, en anglais, les grandes lignes de l’histoire, en ajoutant des considérations humoristiques sur l’actualité politique, ce qui déclenche de nombreux éclats de rire dans la salle. Il va même jusqu’à se disputer avec le chef d’orchestre sur la prononciation du nom Bernstein, provoquant l’hilarité générale.
La distribution vocale est proche de l’idéal. Candide est magistralement interprété par Miles Mykkanen, qui prête tout naturellement ses traits bonhommes et ingénus au héros. La voix est superbe d’homogénéité sur toute la tessiture, de douceur et de nuances. La Cunégonde de Marie Lys fait, elle aussi, forte impression, notamment avec l’air le plus connu de l’opéra, « Glitter and be gay », ébouriffant feu d’artifice vocal, qu’elle chante qui plus est en faisant des acrobaties sur la porte en verre. Seul bémol : une diction anglaise pas toujours intelligible. On retient aussi la truculente Vieille Dame d’Anna Steiger, arborant des tenues les unes plus extravagantes que les autres, ainsi que le Pangloss franchement burlesque et souvent ridicule de Franco Pomponi. Les seconds rôles sont tous à l’avenant, avec notamment Stuart Patterson incarnant avec gravité les méchants de l’histoire, Joël Terrin en frère de Cunégonde au beau timbre clair et Béatrice Nani en Paquette effrontée. On relèvera aussi la superbe prestation des choristes, qui participent directement à l’action. A la tête de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, Gavriel Heine livre une exécution musicale légère et pétillante, mais qui ne manque ni de mordant ni de profondeur. Un spectacle haut en couleur ovationné par un public visiblement ravi.
Claudio Poloni
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