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Une satire mordante

Zurich
Opernhaus
10/23/2022 -  et 27, 30* octobre, 4, 6, 9, 13, 17, 19, 22 novembre 2022
Jacques Offenbach : Barkouf
Marcel Beekman (Bababeck), Andreas Hörl (Le Grand-Mogol), Mingjie Lei (Saëb), Daniel Norman (Kaliboul), Sunnyboy Dladla*/Andrew Owens (Xaïloum), Brenda Rae (Maïma), Rachael Wilson (Balkis), Siena Licht Miller (Périzade), Bo Zhao, Utku Kuzuluk, Thomas Luckett, Robert Weybora, Timm de Jong, Piotr Lempa (Les conjurés), André Jung*/Max Hopp (narrateur)
Chor der Oper Zurich, Ernst Raffelsberger (chef de chœur), Philharmonia Zürich, Jérémie Rhorer (direction musicale)
Max Hopp (mise en scène), Marie Caroline Rössle (décors), Ursula Kudrna (costumes), Sebastian Helminger (collaboration aux costumes), Franck Evin (lumières), Martina Borroni (chorégraphie), Kathrin Brunner (dramaturgie)


(© Monika Rittershaus)



C’est une histoire de long, de très long sommeil, un peu comme dans La Belle au bois dormant. Sauf que le prince charmant est ici un musicologue fort avisé et surtout tenace. Barkouf, un opéra-comique en trois actes de Jacques Offenbach, sur un livret d’Eugène Scribe et d’Henry Boisseaux, est créé à Paris en décembre 1860. Après seulement 7 représentations, l’ouvrage est déprogrammé et la partition rangée dans une armoire, où elle restera pendant plus de 150 ans. Jean-Christophe Keck, le spécialiste d’Offenbach qu’on ne présente plus, met la main sur le document après de nombreuses tentatives avortées pour y avoir accès. Au détour d’une conversation avec un chef d’orchestre, le musicologue entend parler de la partition manuscrite de Barkouf, laquelle se trouverait dans la maison de la fille d’Offenbach et des héritiers de celle-ci. La demeure en question est située à Saint-Mandé, à l’est de Paris. 20 longues années durant, Jean-Christophe Keck va sonner à la porte, sans succès. En 2014, grâce à l’entremise d’une amie chanteuse, la porte va enfin s’ouvrir pour le musicologue. Qui découvre un véritable trésor : une armoire remplie de manuscrits, dont la partition d’orchestre de Barkouf. Si cette dernière est complète, il n’en va pas de même du livret, pour lequel Jean-Christophe Keck va procéder à un minutieux travail de reconstitution, sur la base de trois textes différents. La partition ayant été retrouvée et le livret remanié, Barkouf est présenté à Strasbourg en décembre 2018, puis la production voyage jusqu’à Cologne. C’est maintenant au tour de l’Opernhaus de Zurich de proposer l’ouvrage, en première suisse et dans la troisième production scénique de l’œuvre.


Barkouf est très certainement l’ouvrage d’Offenbach dans lequel la satire politique et sociétale est la plus mordante, ce qui explique pourquoi l’opéra a été rapidement déprogrammé, la censure ne l’ayant pas trouvé à son goût, et c’est un euphémisme. L’opéra raconte l’histoire, dans une ville orientale, d’un chien qui est placé au pouvoir par le Grand-Mogol, lequel veut punir ainsi ses sujets, qui ne sont pas assez obéissants et soumis à ses yeux. Ne se sont-ils pas débarrassés des dix derniers gouverneurs ? C’est donc un chien féroce, Barkouf, qui est censé remettre de l’ordre dans la ville. Mais ce dirigeant d’un genre totalement nouveau va surprendre là où on ne l’attend pas, notamment en baissant les impôts et en graciant les condamnés à mort. Le Grand-Mogol et sa cour ne sont pas du tout contents, alors que le petit peuple exulte. Et sur l’intrigue politique vient se greffer l’inévitable histoire d’amour.


Le cinéaste et comédien allemand Max Hopp signe une production très drôle et enlevée, en accentuant le côté comique de l’ouvrage d’Offenbach. L’action se déroule dans un lieu indéterminé, vaguement oriental grâce aux superbes costumes bariolés d’Ursula Kudrna et de Sebastian Helminger. Un grand escalier blanc tournant sur lui-même occupe presque entièrement le plateau. Les gags, la plupart du temps réussis, s’enchaînent sans discontinuer. Le metteur en scène a délibérément renoncé à une actualisation ou une transposition de l’ouvrage, estimant que le livret se suffit à lui-même. Un narrateur très pince-sans-rire et expressif, André Jung, intervient régulièrement pour commenter l’action, en allemand, quand il ne se met pas à aboyer, déclenchant des fous rires dans la salle. On mentionnera aussi les chorégraphies endiablées de Martina Borroni, rehaussées de plumes et de paillettes.


A la tête du Philharmonia Zürich, Jérémie Rhorer offre une exécution musicale certes vive et dynamique, mais dénuée de nuances et de raffinement. L’orchestre joue souvent très fort, trop fort, au point de couvrir parfois le chœur et les chanteurs. Le gros problème de cette production zurichoise est le français totalement incompréhensible des choristes et des chanteurs, qui ne sont pas francophones. Le charabia qui se dégage du plateau laisse une impression très mitigée, malgré toutes les qualités du spectacle. Marcel Beekman incarne un Bababeck truculent et impertinent face au Grand-Mogol d’Andreas Hörl, ridicule avec son ventre énorme. Les deux interprètes sont hilarants dans la grande scène où ils dialoguent l’un avec l’autre par onomatopées. La révélation de la soirée est le Xaïloum de Sunnyboy Dladla : l’interprète porte bien son prénom car son chant est rayonnant et les aigus lumineux. S’il n’a pas le même chant solaire que son collègue, Mingjie Lei en Saëb séduit néanmoins par sa façon de ciseler ses vocalises en orfèvre. En Maïma, Brenda Rae éblouit avant tout par son sens des nuances et ses somptueux « pianissimi », quand bien même la voix, à la projection limitée, est souvent couverte par l’orchestre. La Balkis de Rachael Wilson emporte, quant à elle, tous les suffrages grâce à son chant corsé et velouté. Si, à l’occasion d’une reprise du spectacle, l’Opernhaus réussissait à réunir une distribution francophone, cette production de Barkouf pourrait contribuer à sortir l’ouvrage de son trop long purgatoire. L’œuvre le mérite bien, car il s’agit d’Offenbach à son meilleur.



Claudio Poloni

 

 

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