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Polar surréaliste

Milano
Teatro alla Scala
10/15/2022 -  et 18, 21, 24, 27, 30 octobre, 3 novembre 2022
Umberto Giordano : Fedora
Sonya Yoncheva (Fedora), Serena Gamberoni (La Contessa Olga Sukarev), Roberto Alagna*/Fabio Sartori (Loris Ipanov), George Petean (De Siriex), Caterina Piva (Dimitri), Cecilia Menegatti (Un piccolo Savoiardo), Gregory Bonfatti (Desiré), Carlo Bosi (Rouvel), Andrea Pellegrini (Cirillo), Gianfranco Montresor (Boroff), Romano Dal Zovo (Gretch), Costantino Finucci (Lorek), Devis Longo*/Giorgio Valerio (Nicola), Michele Mauro*/Alessandro Moretti (Sergio), Ramtin Ghazavi (Michele)
Coro del Teatro alla Scala, Alberto Malazzi (chef de chœur), Orchestra del Teatro alla Scala, Marco Armiliato (direction musicale)
Mario Martone (mise en scène), Margherita Palli (décors), Ursula Patzak (costumes). Pasquale Mari (lumières), Daniela Schiavone (chorégraphie)


(© Brescia e Amisano/Teatro alla Scala)


La première de la nouvelle production de Fedora à la Scala a été un immense succès : le spectacle a été accueilli par des applaudissements particulièrement chaleureux, notamment pour les chanteurs et le chef d’orchestre, alors que le metteur en scène a dû composer avec quelques manifestations de mécontentement isolées. Fedora, d’Umberto Giordano, est un véritable polar. L’ouvrage, qui a vu le jour à Milan en 1898, est tiré d’un drame de Victorien Sardou, représenté pour la première fois au théâtre du Vaudeville à Paris en 1882, avec Sarah Bernhardt dans le rôle‑titre : le comte Vladimir est assassiné la veille de ses noces avec la princesse Fedora ; un anarchiste nihiliste, Loris Ipanov, est accusé d’être l’auteur du meurtre. En réalité, Ipanov a tué Vladimir par jalousie, ayant découvert par hasard que sa femme avait une liaison avec le comte. Fedora, qui n’est au courant de rien, jure de venger la mort de son fiancé. Elle lance des espions aux trousses d’Ipanov, qui refait surface à Paris. La princesse se rend dans la capitale française pour exécuter son plan : faire en sorte qu’Ipanov tombe amoureux d’elle afin de lui soutirer les aveux de sa culpabilité. Mais, bien évidemment, rien ne se passe comme prévu, car Ipanov finit par expliquer la véritable motivation de son geste à Fedora, laquelle est entre-temps tombée éperdument amoureuse de lui. Le couple s’enfuit en Suisse, où Fedora, rongée par les remords, confie à Ipanov que les dénonciations qu’elle a elle-même lancées ont conduit à une chasse à l’homme ayant causé la mort non seulement du frère d’Ipanov mais aussi de sa mère. Ipanov maudit Fedora, qui s’empoisonne et tombe dans les bras de son amant, lequel finit par lui pardonner.


Fedora est un opéra que les plus grands chanteurs ont toujours apprécié. Le programme de salle de la Scala cite les interprètes ayant foulé les planches milanaises jusqu’à aujourd’hui dans l’ouvrage, et la liste est impressionnante: Marias Callas, Mirella Freni, Tito Gobbi, Aureliano Pertile, Beniamino Gigli, Franco Corelli, Plácido Domingo ou encore José Carreras, pour ne citer que les noms les plus connus. Pour cette nouvelle production, le célèbre théâtre a misé sur le couple Sonya Yoncheva-Roberto Alagna. Les deux chanteurs ont affiché une forme vocale éblouissante. La soprano bulgare a séduit tout d’abord par son engagement scénique et son identification au personnage, composant une aristocrate distante et autoritaire, dont les certitudes s’estompent peu à peu. Les nombreuses annulations de ces derniers temps ont au moins eu le mérite de reposer son instrument : la voix, corsée et capiteuse à souhait, bien conduite sur toute la tessiture, est impressionnante d’ampleur et de puissance, avec de splendides accents sensuels et voluptueux. Roberto Alagna était particulièrement attendu à la Scala puisqu’il n’y avait plus chanté depuis 2006, lorsqu’il avait été sifflé alors qu’il interprétait Radamès dans Aïda. Le ténor a incarné un Loris Ipanov ardent et rayonnant, impeccable de phrasé, avec des aigus lumineux longuement tenus. L’air le plus célèbre de l’opéra, « Amor ti vieta », a été extrêmement applaudi. George Petean s’est montré plutôt discret en De Siriex, attaché diplomatique français en Russie, le timbre manquant singulièrement de projection et de caractère. En revanche, les nombreux seconds rôles étaient tous excellents, à commencer par la comtesse Olga Sukarev enjouée et désinvolte de Serena Gamberoni.


Marco Armiliato a parfaitement réussi ses débuts dans la fosse de la Scala : le chef a su mettre en valeur les couleurs sombres et mystérieuses de la partition de Giordano tout en rendant pleinement justice aux nombreuses effusions lyriques, avec des changements d’atmosphère fluides et parfaitement négociés. Sa direction est dans tous les cas en parfaite harmonie avec la mise en scène de Mario Martone, qui a accentué le côté enquête policière de l’ouvrage pour en ôter tous les éléments du vérisme auquel l’opéra est traditionnellement associé. Le rideau s’ouvre sur l’appartement luxueux et design du comte Vladimir, avec une grande baie vitrée laissant apercevoir de nombreux gratte‑ciel. Le metteur en scène s'est clairement inspiré dans son travail des tableaux surréalistes de René Magritte, que Mario Martone considère comme des rébus incompréhensibles au premier abord, comme l’intrigue de Fedora. On pense notamment aux Amants pour les figurants à la tête bandée, à L’Empire des lumières, qui a servi de base à la représentation de la demeure parisienne de Fedora au deuxième acte, ou encore à L’Assassin menacé pour le refuge des deux amoureux au dernier acte. Un concept original et intrigant.



Claudio Poloni

 

 

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