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Aux sources du mythe

Baden-Baden
Festspielhaus
10/07/2022 -  et 8*, 9 octobre 2022
Hamlet 21
John Neumeier (chorégraphie, éclairages), Sir Michael Tippett (musique)
Hamburg Ballett John Neumeier
Federico Ceppetelli (violon), Tomoko Akasaka (alto), Romain Garioud (violoncelle), Philharmonie Baden‑Baden, Simon Hewett (direction musicale)
Klaus Hellenstein (décors et costumes)


(© Kiran West)


Pourquoi Hamlet 21 ? Le chiffre 21 évoque simplement un millésime, John Neumeier s’étant déjà intéressé à de nombreuses reprises au personnage d’Hamlet, cette mouture‑là, créée à Hambourg en juin 2021, n’étant jamais que sa quatrième confrontation avec le sujet. L’aventure a commencé en 1976 à New York, avec le fragment Hamlet Connotations, écrit pour Mikhaïl Barychnikov, sur des musiques d’Aaron Copland, mais s’est surtout concrétisée ensuite en 1985 à Copenhague avec Amleth, ballet complet en « style archéologique Viking », en hommage aux sources historiques danoises du drame, cette fois sur des musiques de Sir Michael Tippett. Un travail encore largement modifié en 1997 à Hambourg, où Neumeier choisit de rapprocher l’histoire de notre époque, sur une période allant des années 1930 à 1960, davantage en résonance avec des musiques toujours puisées exclusivement dans l’œuvre de Tippett.


Neumeier n’envisage de toute façon pas simplement Hamlet comme le héros de Shakespeare, mais comme un véritable mythe, déjà largement présent dans des sources plus anciennes, dont la Gesta Danorum écrite au début du treizième siècle par l’historien Saxo Grammaticus, un ouvrage dont il n’est d’ailleurs pas sûr que Shakespeare, qui s’est vraisemblablement référé à des versions plus anciennes encore, ait eu lui‑même connaissance. On retrouve évidemment dans ce ballet le personnage d’Hamlet qui nous est familier, mais aussi beaucoup d’épisodes que la pièce de Shakespeare élude ou ne fait qu’évoquer cursivement : l’histoire passée du royaume, et notamment la guerre entre le Danemark et la Norvège, ainsi que le destin de l’oncle et du père d’Hamlet, l’un ayant finalement assassiné l’autre, voire les premières rencontres amoureuses entre Hamlet et Ophélie. Donc un scénario étoffé, où les principales péripéties de la pièce de Shakespeare se retrouvent toutes reléguées en seconde partie de soirée, après une très longue période d’introduction historique voire d’histoire familiale, dont même la petite enfance du héros.



(© Kiran West)


Un ballet qui comme toujours chez Neumeier, se nourrit beaucoup des beautés des musiques que le chorégraphe sait assembler et combiner avec une intuition très sûre. Ici essentiellement le Triple Concerto, pour violon, alto et violoncelle et orchestre et la Deuxième Symphonie, de Sir Michael Tippett mais aussi deux beaux extraits du Divertimento pour cordes « Sellinger’s Round », qui soutiennent le vibrant et sensible pas de deux d’Hamlet et Ophélie (un fragment qu’on avait déjà pu voir à Baden‑Baden, en 2014, inclus dans un autre ballet de John Neumeier, Shakespeare Dances). Des musiques jouées en fosse par une Philharmonie de Baden‑Baden un peu dépassée par certaines exigences de virtuosité, surtout pour les vents, mais qui ont le mérite de rester un véritable accompagnement, bien préférable à des bandes enregistrées.


Les partitions sont intégralement respectées par la chorégraphie, ce qui impose parfois, pour rester en phase avec les climats musicaux successifs, de ne pas évoquer les péripéties du drame dans le bon ordre, la scène des comédiens se retrouvant par exemple placée après celle du suicide d’Ophélie (très belle image, quand la danseuse se noie dans les flots d’une reproduction de La Grande Vague de Kanagawa d’Hokusai, peinte sur un énorme pan de tissu qui se décroche et, littéralement, l’engloutit). Dans le contexte de conflit actuel, les nombreuses évocations guerrières, combats stylisés avec force oriflammes, casques et uniformes inspirés de la Seconde Guerre mondiale, gardent leur impact très physique, mais toutes ces acrobaties parfaitement réglées se retrouvent en porte à faux, par leur vision forcément esthétisante, avec les vrais drames humains que nous vivons en ce moment, même à distance. On leur préfère nettement les parties plus narratives, notamment les confrontations d’Hamlet avec sa mère (un rôle très riche, tenu ici par Yaiza Coll), et son père, d’abord vivant, puis fantomatique (le toujours impressionnant Florian Pohl). Et puis bien sûr il y a l’étude psychologique très fouillée du personnage d’Hamlet, dont les « monologues » sont tous passionnants. Le rôle est tenu ce soir par Alexandr Trusch, comme toujours impeccable et fortement impliqué, en alternance avec le plus longiligne Edvin Revazov, qui doit certainement s’y montrer tout aussi intéressant. Et n’oublions pas l’Ophélie d’Anna Laudere, peut-être un peu trop mûre maintenant pour l’emploi, mais qui continue à y déployer des trésors de sensibilité.



Laurent Barthel

 

 

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