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Double potion d’élixir

Lausanne
Opéra
10/02/2022 -  et 4*, 5**, 6, 7, 9 octobre 2022
Gaetano Donizetti : L’elisir d’amore
Valentina Nafornită**/Laurène Paternò* (Adina), Dovlet Nurgeldiyev**/Jean Miannay* (Nemorino), Giorgio Caoduro**/Aslam Safla* (Belcore), Adrian Sâmpetrean**/Raphaël Hardmeyer* (Dulcamara), Aurélie Brémond (Giannetta)
Chœur de l’Opéra de Lausanne, Gleb Skvortsov (chef de chœur), Orchestre de Chambre de Lausanne, Nir Kabaretti (direction musicale)
Adriano Sinivia (mise en scène), Cristian Taraborrelli (décors), Enzo Iorio (costumes), Fabrice Kebour (lumières)


(© Jean‑Guy Python)


L’Opéra de Lausanne a lancé sa saison 2022‑2023 avec une reprise de la production de L’Elixir d’amour étrennée il y a exactement dix ans, à l’occasion de la réouverture du théâtre après des travaux de rénovation et d’agrandissement. On s’en souvient, le metteur en scène Adriano Sinivia avait transposé l’histoire d’amour entre Adina et Nemorino dans l’univers des Lilliputiens, dans un champ de blé au ras du sol. L’illusion de ce monde en miniature, peuplé de lutins vêtus comme de petits sauvages, est donnée par les décors, avec un énorme pneu de tracteur et une pelle tout aussi impressionnante au milieu de coquelicots et d’épis géants, sans parler de la grosse boîte de conserve de laquelle sortent Belcore et son armée de soldats ou encore de l’immense bouteille de vin sur laquelle est juché Dulcamara. Un spectacle haut en couleur, amusant et délicieusement kitsch. A l’époque, il était prétexte à exploiter au maximum les possibilités techniques du théâtre rénové et à montrer au public la hauteur et la profondeur du plateau, qui avait été considérablement agrandi. Depuis, la production a énormément voyagé puisqu’on a pu la voir aussi à Monte‑Carlo, à Tours, à Bordeaux et même aux Chorégies d’Orange cet été, pour un total de vingt‑deux représentations jusqu’ici.


Pour cette reprise, l’Orchestre de Chambre de Lausanne a été confié à Nir Kabaretti, dont la direction est solide et efficace, malgré quelques imprécisions et des décalages entre la fosse et le plateau ; le chef a parfois la baguette un peu lourde et on aurait aimé davantage de nuances et de raffinement, mais tout s’enchaîne de manière parfaitement fluide. Si les choristes sont parfaitement intégrés à la production, leur prestation vocale, en revanche, n’est pas toujours synchronisée avec l’orchestre. La nouveauté de cette reprise lausannoise est une double distribution.


La première, composée d’interprètes confirmés venus de différents pays, est clairement emmenée par Dovlet Nurgeldiyev et Adrian Sâmpetrean. Le premier incarne un Nemorino confondant de naïveté et de sincérité, à la voix claire et homogène, au phrasé délicat et aux aigus lumineux. Son air « Una furtiva lagrima », le hit de la partition, est particulièrement applaudi. Le second campe un Dulcamara aux allures de sorcier, avec un sens évident de la comédie, un legato et une diction impeccables ainsi qu’un timbre très bien projeté et des vocalises acérées. Le Belcore de Giorgio Caoduro est fâché avec l’intonation et son chant n’est pas toujours très précis, mais on admire son timbre particulièrement sonore et sa verve comique. L’Adina de Valentina Nafornită est une déception : si la voix est lumineuse et les aigus rayonnants, la soprano a tendance à lancer des forte stridents à chaque phrase et les vocalises sont bien approximatives.


Pour la seconde distribution, Eric Vigié, directeur de l’Opéra de Lausanne, a voulu donner leur chance à de très jeunes chanteurs de la région, dont certains n’ont pas encore terminé leur formation, et leur a fait le plus beau des cadeaux : les engager pour les rôles principaux pour deux représentations. Une initiative inédite, ou presque, dans le monde lyrique, qu’il convient de saluer. A l’heure où l’Opéra de Paris – pour ne citer qu’un exemple – est en train de constituer une troupe de jeunes chanteurs qui seront distribués, dans un premier temps, dans les rôles secondaires, à l’heure aussi où d’autres théâtres lyriques connaissent déjà le système de la troupe avec des chanteurs engagés dans les rôles secondaires, alors que les rôles principaux sont confiés à des artistes invités, Lausanne va plus loin en proposant d’emblée les grands rôles. Durant les vingt ans qu’il a passés à Lausanne, Eric Vigié n’a eu de cesse d’accorder une place importante à la relève.


Les quatre chanteurs de la seconde distribution ont tous déjà foulé les planches lausannoises, en débutant comme choristes. Par la suite, ils ont été engagés comme solistes, mais toujours dans de petits rôles. Le ténor Jean Miannay a ainsi pas moins de six productions à son actif à Lausanne, notamment Les Contes d’Hoffmann en 2019, Rinaldo en 2020 et Eugène Onéguine en début d’année. Aslam Safla a participé à Werther cette année, et Raphaël Hardmeyer à Ariane à Naxos en 2019 et à Sémiramis en 2022. Quant à Laurène Paternò, après son premier prix au Concours Kattenburg de Lausanne, elle a été engagée à trois reprises, dans Les Chevaliers de la Table ronde en 2019, La Belle Hélène en 2020 et Dédé en 2021. Le cas d’Aurélie Brémond est un peu différent puisqu’elle est distribuée dans le petit rôle de Giannetta dans les deux distributions. Cette double distribution a nécessité des répétitions supplémentaires, tant scéniques que vocales, mais le jeu en vaut largement la chandelle, car chanter un grand rôle sur scène va indubitablement renforcer la confiance des jeunes artistes. Lesquels ont aussi pu profiter de nombreux conseils de leurs « aînés » de la première distribution, qui n’ont pas été avares de recommandations. Globalement, les jeunes chanteurs de cette expérience inédite ont été admirables d’aisance scénique, d’identification à leur personnage, de fraîcheur et d’émotion, quand bien même leurs prestations vocales respectives peuvent encore largement progresser. Mais ils sont promis à un bel avenir, puisqu’ils n’ont pas encore 30 ans.



Claudio Poloni

 

 

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