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En voir de toutes les couleurs Liège Opéra royal de Wallonie 09/20/2022 - et 23, 25*, 27, 29 septembre, 1er octobre 2022 Léo Delibes : Lakmé Jodie Devos (Lakmé), Philippe Talbot (Gérald), Lionel Lhote (Nilakantha), Pierre Doyen (Frédéric), Marion Lebègue (Mallika), Julie Mossay (Ellen), Caroline de Mahieu (Rose), Sarah Laulan (Miss Bentson), Pierre Romainville (Hadji), Benoît Delvaux (Un Kouravar), Xavier Petithan (Un Chinois), Benoît Scheuren (Un Domben),
Chœurs de l’Opéra royal de Wallonie, Denis Segond (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie, Frédéric Chaslin (direction)
Davide Garattini Raimondi (mise en scène), Paolo Vitale (décors, lumières), Giada Masi (costumes)
(© ORW‑Liège/Jonathan Berger)
Vous n’avez pas le moral ? Rendez-vous à l’Opéra royal de Wallonie pour une cure de couleurs et d’exotisme. La saison débute avec une rutilante production de Lakmé (1883) totalement dans l’esprit de la maison.
Auteur en 2017 d’une Norma peu convaincante, Davide Garattini Raimondi développe une réflexion poussée sur les couleurs, avec une référence, selon ses louables notes d’intention, au drapeau indien. Manifestement soucieux de lisibilité, il reste fidèle au livret, sans actualisation. Recréant l’imaginaire du sous‑continent dans tous son mysticisme supposé et sa volupté imaginaire, le décor impressionne d’emblée par son gigantisme, ses détails et sa débauche de coloris. Les teintes indigo prédominent largement mais les effets fluorescents qui apparaissent par moments sont d’un goût franchement discutable. Le troisième acte, contrasté par rapport aux précédents, autrement plus chatoyants et chargés, présente plus d’originalité. Il se déroule, en effet, dans un club‑house anglais entièrement peint en vert – l’acte se passe en principe dans une forêt –, sous le regard de la reine Victoria. Mais l’ensemble relève d’une vision idéalisée, fantasmée, naïve, même, de l’Inde, avec une référence trop indulgente à l’occupant britannique.
Incroyablement élaborée, cette scénographie d’un exotisme forcené témoigne de l’immense savoir‑faire des ateliers, en particulier ceux chargés de la confection des costumes, traditionnels, bien sûr, tous aussi beaux les uns que les autres. Un tel décor fait évidemment plaisir à voir, mais l’importance des moyens dégagés paraît tout de même incongrue dans le contexte actuel, marqué par des restrictions en tous genres – les théâtres, cet hiver, ne seront‑ils pas contraints de restreindre leurs activités compte tenu du coût exorbitant de l’énergie ?
D’une envergure dramatique limitée, la direction d’acteur demeure de pure convention. Le spectacle comporte toutefois quelques idées intéressantes, la principale étant, malgré son léger anachronisme, la présence d’un figurant – Rudy Goddin – incarnant Gandhi, visible quasiment en permanence, comme spectateur du drame, assis à un rouet : des citations du sage proclamant l’amour et la non‑violence s’affichent régulièrement. La chorégraphie apporte, quant à elle, un contrepoint plaisant ou éclairant à l’action, l’une des danses, assez stylisée, illustrant la violence exercée par les colons anglais. Mais une telle mise en scène, par son esthétique et son approche traditionnaliste, trouve peu de résonnances avec le monde actuel, et elle ne parvient pas non plus à tout à fait dissiper l’impression de longueur ressentie vers la fin. Cet ouvrage n’intéresse probablement pas la direction actuelle de la Monnaie, qui ne l’a plus programmé depuis 1957, mais à titre de comparaison, il serait intéressant de savoir ce qu’accomplirait l’institution fédérale, dont la politique artistique diffère tellement, dans l’œuvre de Delibes.
Les chanteurs, la plupart bien connus de la scène liégeoise, soignent la prononciation française. Par son physique et son aisance, Jodie Devos incarne sans surprise une séduisante et touchante Lakmé. La soprano évolue plus favorablement dans les aigus – le rôle réclame, il est vrai, de nombreuses et délicates envolées dans le haut du registre – que dans le medium, qui ne possède pas toujours la netteté et le moelleux attendus. Le chant se distingue toutefois par sa pureté et sa tenue dramatique et stylistique. Le duo des fleurs avec la Mallika de Marion Lebègue, mezzo‑soprano au timbre remarquable, constitue une réussite, tout en cohésion et en finesse. Ténor familier de ce répertoire, Philippe Talbot se démarque surtout par le timbre, clair, légèrement nasal, et par l’élégance du chant, mais son jeu d’acteur semble emprunté en comparaison avec sa naturelle et charismatique partenaire, et la puissance vient parfois aussi à manquer. Ce Gérald parait ainsi univoque, terne, inoffensif.
Le doute n’est plus permis : Lionel Lhote compte vraiment parmi les tous grands chanteurs belges, et il se pourrait bien qu’il se profile comme un digne successeur du grand José van Dam, par le talent, le timbre, la justesse de l’incarnation, l’intelligence artistique et la technique sans faille. Le baryton, qui mériterait de développer une carrière encore plus internationale, même si cela conduirait à une moindre présence à Liège, incarne un Nilakantha idéal, mélange d’abjecte fanatisme et de – faux – amour paternel. Julie Mossay, Caroline de Mahieu et Sarah Laulan, respectivement Ellen, Rose et Mistress Bentson, forment un trio franchement caricatural, mais leur gesticulation ne devrait pas occulter leurs mérites vocaux. Pierre Doyen surjoue comme le trio féminin mais il délivre du rôle de Frédéric une interprétation vocalement digne de la réputation des lieux, éloquente et maîtrisée. Enfin, le jeune Pierre Romainville parvient à se faire remarquer dans le petit rôle d’Hadji.
L’orchestre affiche plus de rigueur et de cohésion que de finesse et de subtilité. Même si les détails de l’écriture pourraient davantage ressortir, Frédéric Chaslin accomplit un travail de qualité à la tête de musiciens qui défendent tous avec probité et talent le lyrisme et le pouvoir d’évocation de cette belle et honnête musique. Soigneusement préparés, les chœurs tiennent, quant à eux, leur rang.
Sébastien Foucart
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