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Verdi en bataille

Strasbourg
Palais de la Musique
09/09/2022 -  
Giuseppe Verdi : Messa da Requiem
Serena Farnocchia (soprano), Jamie Barton (mezzo‑soprano), Benjamin Bernheim (ténor), Ain Anger (basse)
Chœur de l’Opéra national du Rhin, Alessandro Zuppardo (direction), Ceský filharmonický sbor Brno, Petr Fiala (direction), Orchestre philharmonique de Strasbourg, Aziz Shokhakimov (direction)


J. Barton, A. Shokhakimov, B. Bernheim, A. Anger (© Nicolas Rozès)


« L’Orchestre philharmonique de Strasbourg frappe fort pour sa rentrée », titre une collègue de France Info sur internet. De fait, ouvrir la saison avec un Requiem de Verdi est un projet de grand format, mais là où on frappe de loin le plus fort ce soir, c’est sur la grosse caisse, avec un Dies Iræ effectivement ébranlé par une succession de « boum » à réveiller les morts. D’expérience de lyricomane et critique, qui pourtant en a vécu beaucoup, des Requiem de Verdi, on n’avait jamais entendu un tel raffut déclenché par de simples coups de mailloche, à la fois énorme et curieusement creux (l’acoustique de la salle, excellente mais qui réserve parfois des surprises, y est‑elle pour quelque chose ?).


Plus loin sur la même page internet on peut lire quelques propos introductifs tenus par le chef Aziz Shokhakimov : « Dans cette musique, il y a tellement de moments dramatiques et de résonances apocalyptiques ! Quand vous écoutez ce Dies irae, vous pouvez entendre, à travers les instruments, les météorites vous arriver dans les oreilles et que des catastrophes sont en train de survenir. » Et de fait, ce soir, même placé relativement en arrière, le résultat est dantesque : l’assaut de décibels est parfois tellement violent que le son chuinte et sature, en dépit du grand volume de la salle. Il est vrai que derrière les rangs serrés de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, on dénombre plus de quatre‑vingt‑dix choristes, et quand le chef incite autant de robustes gosiers à hurler, des cataclysmes sont à prévoir : un charivari qui aurait sans doute ravi Berlioz, mais Verdi peut-être un peu moins.


Certes ce Requiem ne lésine pas sur les proportions, Verdi y demandant à plusieurs moments un chant noté expressément fortissimo (« ff »). Autant de passages où Aziz Shokhakimov opte quant à lui pour un colossal « ffffff », ce qui est assez facile à obtenir avec autant de choristes, dotés de surcroît de voix d’un grand gabarit, dont celles du Chœur philharmonique de Brno, impressionnantes de force de frappe. Des déploiements aussi fracassants restent dans l’esprit, sinon la lettre, de cette musique, et Shokhakimov y met bien en valeur son potentiel démiurgique. Mais en ce cas, où se trouve l’autre curseur, la limite dynamique inférieure ? Ici, on a l’impression que cette limite est placée en permanence à un niveau beaucoup trop fort, phénomène que l’on ressent dès le tout premier passage choral développé, le « Te decet hymnus » du Kyrie, où rien ne descend vraiment en dessous de nuances piano voire mezzo forte, et culmine bien trop tôt dans des passages déjà complètement explosifs.


Somme toute, on nous plaque continuellement le nez sur la fresque, au lieu de nous accorder de temps à autre le recul nécessaire pour apprécier les ombres, les pleins, les déliés, les équilibres... De fait, diriger un Requiem de Verdi nécessite un véritable savoir‑faire d’architecte, ce qui ne s’acquiert pas d’emblée, de même d’ailleurs que le style verdien en général. Exemple parmi d’autres, le Lacrymosa, qui ne trouve jamais le bon climat. La lettre y est, mais pas ce rien d’emphase sur les contretemps, ce raffinement des nuances qui rend magiques les entrées des bois, ce travail sur l’expressivité des appogiatures, ici raidies par une battue trop crispée, alors que pourtant Verdi note expressément sur sa partition : « come un lamento »... bref manquent ces bonnes recettes qui font qu’une exécution verdienne va tout à coup vous empoigner, faire vibrer votre empathie avec les personnages du drame. Car, après tout, l’intitulé Requiem ne trompant personne, c’est bien d’un drame sacré qu’il s’agit, le cas de ce Lacrymosa étant même plus significatif encore, puisqu’il dérive directement d’un extrait d’opéra, récupéré par Verdi parmi les coupures de la version parisienne de Don Carlos.


Outre des chœurs bien préparés, ce concert pouvait en principe compter sur un brillant quatuor de solistes. On y attendait notamment Krassimira Stoyanova, bonne spécialiste de l’emploi, mais qui malheureusement n’a pas pu se déplacer. Or ce n’est de loin pas la première fois que la soprano italienne Serena Farnocchia est appelée à remplacer sa collègue bulgare, avec une voix qui malheureusement, après des débuts prometteurs il y a vingt ans, n’a pas bien évolué. Le format est resté relativement modeste, les aptitudes à valoriser l’aigu piano sont limitées et la justesse paraît plus d’une fois difficile à stabiliser. Ce qui compromet l’équilibre d’un quatuor dont de toute façon les fondations vacillent, la basse estonienne Ain Anger n’ayant guère de proposition marquante à faire, prestation sans vulgarité mais relativement effacée, voire compromise par un vibrato mal contrôlé. Bien davantage de conviction du côté de l’Américaine Jamie Barton, mezzo‑soprano dont les registres sont un peu disparates mais qui a de l’énergie et de la chaleur humaine à revendre. Et puis il y a aussi le fort potentiel de Benjamin Bernheim, chanteur raffiné qui s’est fait remarquer jusqu’ici plutôt dans Gounod et Massenet, mais dont l’importance de la projection voire l’héroïsme, toujours scrupuleusement contrôlé, laissent entrevoir pour l’avenir une belle carrière internationale, au plus haut niveau. Mais tout cela ne fait malheureusement pas un quatuor homogène, et les épisodes intimistes du Requiem de Verdi (il y en a beaucoup) en souffrent notablement, dès que plusieurs de ces quatre voix doivent chanter ensemble. Dispersé entre la démesure ambitieuse mais mal contrôlée des grands moments choraux et ces passages solistes qui cherchent leur cohésion, ce Requiem paraît dès lors plus d’une fois tourner à vide.



Laurent Barthel

 

 

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