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Hugues Dufourt, le patron Paris Bagnolet (L’Echangeur) 09/09/2022 - Linda Leimane : Bodies. Undulations (création)
Hugues Dufourt : L’Afrique d’après Tiepolo Court‑circuit, Jean Deroyer (direction)
H. Dufourt (© Astrid Karger)
« Si Georges Braque est le Patron de la peinture moderne, ce n’est pas qu’il soit plus ou moins puissant, inventif, subtil que Picasso ou Rouault, mais c’est parce qu’il donne de cette peinture l’idée la plus aiguë à la fois et la plus nourricière », écrivait Jean Paulhan dans Braque le patron (1952). Une appréciation que l’on pourrait appliquer, mutatis mutandis, à l’art d’Hugues Dufourt (né en 1943), si l’on se réfère à l’excellente émission « Carrefour de la création », diffusée sur France Musique dimanche 4 septembre, sous‑titrée « Hugues Dufourt, le patron de la musique française ? » ; gageons que ce passionné des beaux‑arts appréciera le parallèle...
Patron ou pas, l’inventeur du terme « musique spectrale » réunit toutes les qualités pour être la figure d’honneur de cette troisième édition du Festival Ensemble(s). 2e2m, Cairn, Court‑circuit, Multilatérale et Sillages se sont donné rendez‑vous cette année au Théâtre L’Echangeur de Bagnolet, du 8 au 11 septembre.
Extrait des Continents d’après Tiepolo, L’Afrique (2005) donne à entendre cette « sonorité intérieure » que le compositeur dit percevoir face à un tableau au moyen d’une écriture procédant par touches, où les jeux de timbres (leurs tuilages, compénétrations ou oppositions) suggèrent aussi bien la variété de la palette que l’espace de la toile. Là n’est pas le moindre mérite de Dufourt que d’évoquer une telle gamme d’émotions avec seulement huit musiciens. Parmi les paramètres du son, le rythme est en retrait par rapport à l’intensité, la vélocité et les oppositions de registres. Pour employer l’oxymore consacré, le geste créateur instaure de la variété dans l’uniformité : ainsi de l’alternance entre passages contemplatifs (cadence liminaire du piano, incantatoire sous les doigts de Jean‑Marie Cottet) et passages aussi brefs que frénétiques, caractérisés par une forte densité d’informations. C’est l’idée du camaïeu qui domine Afrique, tel un écho à la touffeur et à la poussière ambiantes. Les musiciens de Court‑circuit, parmi lesquels prend place la hautboïste (troqué ici au profit du cor anglais) du Philharmonique de Radio France Hélène Devilleneuve, font preuve d’une belle écoute mutuelle, garante d’une exécution optimale.
Partager l’affiche avec un tel géant de la musique n’est pas chose aisée. Non que la création de la lettonne Linda Leimane (née en 1989) ait démérité : l’écriture toute en ondulations et en motifs tournoyants de Bodies. Undulations dénote une science indéniable de l’instrumentation. On se persuade bien vite que ce qui pouvait apparaître comme un simili de réexposition revient trop souvent pour suggérer la forme sonate ; c’est davantage de forme rondo qu’il s’agit, avec cette alternance de couplets et de refrains, ces derniers évoquant les âmes dolentes immortalisées par Dante puis Rodin – la partition se veut « une interprétation de la sculpture La Porte de l’Enfer ». Loin de rassurer, ce procédé par répétitions revêt un pouvoir anxiogène, avivé par la gestique très saccadée de Jean Deroyer. L’œuvre se ressent fortement de Vortex temporum (1995), le chef‑d’œuvre pour six instruments de Gérard Grisey (1946‑1998).
En guise d’apéritif, de (très) jeunes élèves issus du Conservatoire d’Ivry‑sur‑Seine ont joué deux courtes pièces pour flûte seule signées de Violeta Cruz et de Didier Rotella. Un avant‑concert original décliné sur l’ensemble du festival.
Le site du Festival Ensemble(s)
Le site de Court‑circuit
Jérémie Bigorie
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