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Le gadget électronique de Jesper Nordin

Paris
Maison de la radio et de la musique
06/24/2022 -  
Jean Sibelius : Tapiola, opus 112
Kaija Saariaho : Château de l’âme
Jesper Nordin : Emerging from Current and Waves (création de la nouvelle version)

Faustine de Monès (soprano), Martin Fröst (clarinette), Jesper Nordin (composition et logiciel), Music Unit (réalisation informatique)
Membres du Chœur de Radio France, Orchestre philharmonique de Radio France, Hannu Lintu (direction)


J. Nordin (© Freddie Sandström)


Devancé par une superbe discographie (pour l’essentiel chez l’éditeur Ondine), le Finlandais Hannu Lintu dirige en chef invité le Philharmonique de Radio France dans un programme de musiques nordiques.


L’acoustique sèche de l’auditorium fait que l’apostrophe d’entrée des trompettes a quelque chose de strident, mais les dynamiques s’équilibrent à mesure que le mage d’Ainola dispense les sortilèges de Tapiola (1926). A l’écoute de la petite harmonie, c’est bien de sortilèges qu’il faut parler : voici des cris d’oiseaux, des bruissements de feuillages, des pas de « lutins des bois »... tout un imaginaire sylvestre qui s’affranchit des notes de la partition et que Lintu incante plus qu’il ne dirige. Toute œuvre d’orchestre de Sibelius cachant un concerto pour timbales, saluons la réactivité de Jean‑Claude Gengembre, aux commandes de plusieurs paires de baguettes. Les cordes (on reconnaît Alexis Descharmes au premier violoncelle) ne sont pas en reste, notamment dans l’épisode en tremolos et les ultimes accords aux sonorités d’outre‑monde, comme observées au travers d’un verre dépoli.


Château de l’âme, commande du Festival de Salzbourg où l’œuvre a été créée en 1996, est une succession de cinq mélodies sur différentes sortes d’amour. Tous les textes sont empruntés aux traditions de l’hindouisme ou de l’antiquité égyptienne. La signature de Kaija Saariaho (née en 1952) éclate dès la première mélodie (timbres mouillés et vibratiles des percussions, nappages délicats des vents) où le chœur installe une polyphonie perpétuellement mouvante avec l’orchestre et la soliste. Mouvante, cette dernière ne l’est pas moins grâce au chant incarné de Faustine de Monès, tour à tour emphatique (« La Liane »), cajoleur (berceuse « A la terre »), dramatique (« La Liane »), en proie aux incantations (« Pour repousser l’esprit ») et apaisé (« Les Formules »). On soulignera les timbres miroitants des cymbales antiques qui concourent à créer une sorte de liquide amniotique autour de la soprano – un procédé que la compositrice déclinera à l’envi dans ses futurs cycles vocaux.


Jesper Nordin (né en 1971) a développé depuis plusieurs années l’application pour téléphone et tablette « Gestrument », qu’il a par la suite intégrée à son processus compositionnel. L’originalité de la pièce Emerging from Current and Waves tient au fait que son invention ne se limite pas au seul travail d’écriture : le « Gestrument » agit également au cours de l’exécution – de l’électronique en temps réel sur lequel le soliste et/ou le chef exercent leur emprise via une étrange chorégraphie devant des capteurs de mouvements. On a l’impression de les voir apprivoiser un fauve, lequel mugit à proportion de l’amplitude des gestes. A gauche et à droite de l’avant‑scène, deux tam‑tams sont actionnés à distance.


Il s’agit d’une version raccourcie par rapport à la version originale de 2018 créée par Esa‑Pekka Salonen et le même Martin Fröst. L’œuvre se présente comme un concerto pour clarinette, avec des épisodes pour orchestre seul. L’originalité (indéniable) du « Gestrument » une fois prise en compte, l’écriture nous a semblé particulièrement indigente. Les phénomènes maritimes (vagues scélérates, jusant, déflagrations, etc.), induits par le titre, ont été modelés de manière autrement plus suggestives par des musiciens comme Lindberg, Fagerlund, ou John Luther Adams – pour ne citer qu’eux. On réservera les applaudissements aux interprètes et au soliste, lequel écope d’un épilogue aux allures Klezmer joué depuis la tribune, derrière l’orchestre ; une incongruité de plus, qui achève de nous convaincre dans l’idée qu’un gadget, aussi original soit‑il, ne saurait pallier les insuffisances du compositeur.



Jérémie Bigorie

 

 

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