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Epreuve de force

Paris
Philharmonie
06/15/2022 -  et 9 (Amsterdam), 11 (Wuppertal), 13 (Hamburg), 18 (Leipzig) juin 2022
Alban Berg : Vier Lieder, opus 2
Robert Schumann : Dichterliebe, opus  48
Hugo Wolf : Michelangelo-Lieder
Dimitri Chostakovitch : Suite sur des poèmes de Michel‑Ange, opus 145a : 6. « Dante », 9. « Mort » & 10. « Nuit »
Johannes Brahms : Vier ernste Gesänge, opus 121

Matthias Goerne (baryton), Daniil Trifonov (piano)


M. Goerne (© Marie Staggat/Deutsche Grammophon)


Matthias Goerne, qui a toujours cherché à être accompagné par des pianistes différents, revient à Paris avec un programme complexe accompagné cette fois par le super‑soliste Daniil Trifonov.


On doit au jeune Matthias Goerne, au début de ce siècle, des soirées de lieder miraculeuses. Toujours avec beaucoup d’emphase mais un art vocal et des moyens épatants, il a chanté le répertoire du lied allemand avec des accompagnateurs aussi divers qu’Alfred Brendel, Christoph Eschenbach – les plus belles soirées salle Pleyel (voir ici et ici, ici et ici) –, Eric Schneider, Markus Hinterhäuser, Andreas Häfliger, Alexander Schmalcz, Leif Ove Andsnes, et plus récemment, enregistrés systématiquement par Deutsche Grammophon, Seong‑Jin Cho et Jan Lisiecki. Au fil des années, sa voix s’est alourdie au point qu’il n’est plus aujourd’hui capable de chanter en messa di voce et que depuis de nombreuses années, il a adopté un style expressionniste assez grandiloquent qui détonne terriblement dans le répertoire romantique. Les problèmes vocaux se traduisent par une gesticulation très bizarre à observer et qui ne va pas toujours non plus dans le sens de la musique.


Pour ce récital qui convoquait, sur le thème de la vie, l’amour et la mort, des compositeurs aux styles aussi variés que Berg, Schumann, Wolf, Chostakovitch et Brahms, ces deux artistes ont choisi d’enchaîner sans la moindre interruption tous les lieder du programme. Le surtitrage n’aidait que peu à s’y retrouver dans le programme de salle, ce que beaucoup de spectateurs tentaient en vain car l’éclairage n’y est pas propice.


Epreuve de force pour les artistes certes, mais pour le public ? Soyons juste, après le dernier des Quatre Chants sérieux de Brahms qui terminait ces 80 minutes ininterrompues de chant, le public a explosé d’un enthousiasme bruyant que le charmant « Bist du bei mir » de Stölzel (anciennement attribué à Bach) a à peine calmé.


Force est de constater que ce duo n’était pas satisfaisant. Trifonov est le plus merveilleux des pianistes de sa génération mais il reste dans son monde de soliste. On a cru trois minutes au miracle quand il a joué avec une grâce exquise les premières mesures de « Schlafen, schlafen », premier des quatre lieder de l’Opus 2 de Berg, pièces d’un postromantisme tardif que Goerne a interprétées comme s’il s’agissait des visions hallucinées de Wozzeck, dont il a été un interprète exceptionnel. Même constatation dans le cycle Les Amours du poète de Schumann, duquel Goerne donnait une interprétation théâtrale (ce qu’il ne se permettait pas jadis quand c’est Brendel qui l’accompagnait) alors que Trifonov était dans son monde à part et faisait un sort distorsif à la moindre phrase de l’accompagnement (et du postlude, étiré comme jamais). De même, l’accompagnement des lieder de Brahms, qui ne demande pas d’être joué avec la même fulgurance que ses concertos pour piano. Chostakovitch nous a paru surinterprété, mais c’est là que Trifonov s’est révélé un accompagnateur attentif et la fatigue vocale aidant, les Quatre Chants sérieux de Brahms n’avaient plus rien de religieux...


Bref, une soirée dans une salle trop grande et plutôt clairsemée (au contraire du concert d’Argerich et Babayan la veille qui faisait le plein) et bien que l’on sache que la tendance actuelle soit – surtout chez les pianistes – à enchaîner les œuvres (on a entendu récemment au Théâtre des Champs‑Elysées les trois dernières Sonates de Beethoven jouées ainsi), une bien inutile épreuve pour le public d’un art raffiné qui se fait de moins en moins nombreux.



Olivier Brunel

 

 

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