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La lionne en majesté Paris Philharmonie 06/14/2022 - et 25 (Toulouse), 27 (London) février 2022 Serge Prokofiev : Roméo et Juliette, opus 64 : Prologue, « Danse des chevaliers », « Danse du matin », « La Dispute », Gavotte, « La Jeune Juliette », « Danse populaire », « Danse avec des mandolines », « Aubade », « Danse des cinq couples », « Roméo et Juliette avant la séparation » & « Mort de Tybalt » – Hamlet, opus 77 : « Le Fantôme du père d’Hamlet » – Eugène Onéguine, opus 71 : Mazurka & Polka – La Dame de pique, opus 70 : Polonaise & « Idée fixe » – Deux Valses de Pouchkine, opus 120 : 2. Valse en ut dièse mineur – Guerre et Paix, opus 91 : Valse (arrangement Babayan)
Wolfgang Amadeus Mozart : Sonate pour deux pianos en ré majeur, K. 448 Martha Argerich, Sergei Babayan (piano)
M. Argerich, S. Babayan (© Olivier Brunel)
La Grande Salle de la Philharmonie qui ne fait, comme beaucoup de salles et théâtres, pas toujours le plein en ces temps de reprise, était remplie à craquer pour entendre la très adulée Martha Argerich dans un exercice qu’elle adore, le récital à deux pianos.
Et pour cela, elle a connu des partenaires éblouissants, à commencer par son alter ego le regretté Nelson Freire, Stephen Kovacevich, Daniel Barenboim, même Evgeni Kissin et Maria João Pires occasionnellement, et tous les jeunes pianistes dont elle a aimé s’entourer dans les festivals de Lugano qu’elle a animés pendant des années.
Le dernier de ses récitals dans la même salle il y a un mois nous avait laissé sur notre faim. Il s’agissait d’un événement triste – un concert en hommage à Nelson Freire – et avec l’excellent Nelson Goerner, elle n’était pas – à 80 ans on peut le comprendre, de plus dans un programme peu enthousiasmant (Debussy, Rachmaninov) – dans un jour de grande forme. Mais en ce soir de juin, avec Sergei Babayan avec qui elle a déjà donné et enregistré quelques duos mémorables, la « lionne » avait mangé du lion ! Quelle énergie et quel apparent bonheur de faire de la musique et de se retrouver entourée d’un public enthousiaste et très jeune.
Prokofiev et Mozart étaient au menu. On sait, pour l’avoir entendu à Verbier, que Mozart n’est pas le meilleur de Sergei Babayan, qu’on révère dans tant d’autres répertoires (notamment Bach, dont il est aujourd’hui un des meilleurs interprètes). Dans la Sonate pour deux pianos, Martha Argerich était au second piano, solide basse et merveilleuse mozartienne. Babayan a tendance à accélérer les tempi, à introduire des effets de ralentissement et d’accélération et surtout de privilégier la dynamique rythmique à la mélodie. L’Andante, qui ne s’y prête guère, était cependant miraculeux.
Prokofiev, avec les désormais célèbres transcriptions pour deux pianos de Babayan, constituait le plus gros du programme. Celle de Roméo et Juliette est si bien réalisée que l’on a l’impression de voir défiler les amoureux, Tybalt, les chevaliers, bref d’être à Vérone ! Les deux complices, qui ont souvent joué et enregistré cette suite (pour Deutsche Grammphon, « Prokofiev for Two », disque anthologique), s’y sont surpassés. On n’est pas près d’oublier leurs échanges de regards dans la « Danse avec des mandolines » et le recueillement de la salle dans la dernière pièce, « Mort de Tybalt ». Avouons que les autres pièces transcrites d’œuvres scéniques diverses de Prokofiev assez inégales (une Valse de Pouchkine) faisaient un peu diversion et nous ont semblé un exercice un peu austère. Mais le plaisir de la découverte prédominait.
Les deux complices ont ajouté au programme la très belle Barcarolle de la Première Suite, œuvre de jeunesse de Rachmaninov, qui ramenait un peu de douceur après toute cette musique énergique de Prokofiev.
Olivier Brunel
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