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L’immense défi Antwerp Opera Vlaanderen 05/10/2022 - et 13, 15, 17, 19 (Antwerpen), 27, 29* mai, 2, 4 juin (Gent) 2022 Wim Henderickx : The Convert (création) Lore Binon (Vigdis), Vincenzo Neri (David, Shipowner, Embriachi, Commander), Amel Brahim‑Djelloul (Chaperon, Agatha, Second Desert Woman), Françoise Atlan (Lutgardis, Fake Messiah, First Desert Woman, Innkeeper), Daniel Arnaldos (Celebrant, Urbanus, Second armoured man), Luvuyo Mbundu (Rabbi Obadiah), Guido Jentjens (Gudbrandr, Swindler, Rabbi Todros, Raymond of Toulouse, First armoured man), Mark Gough, Erik Dello (Knights)
Jorrit Tamminga (électronique), Kinderkoor, Koor Opera Vlaanderen, Jan Schweiger (chef de chœur), Symfonisch Orkest Opera Ballet Vlaanderen, Koen Kessels (direction musicale)
Hans Op de Beeck (mise en scène, décor, costumes), Glen D’haenens (lumières)
(© Annemie Augustijns)
Quoi de neuf en Flandre ? Un nouvel opéra. Le Gantois Stefan Hertmans (né en 1951) compte parmi les principaux écrivains belges d’expression néerlandophone. Son roman De Bekeerlinge (2016) a été publié, dans une traduction en français, aux éditions Gallimard, sous le titre Le Cœur converti. Kristian Lada en a tiré un livret en anglais, mis en musique par le compositeur originaire de la région d’Anvers Wim Henderickx (né en 1962). Logiquement, la création de cet opéra se tient donc à l’Opéra des Flandres, en coproduction avec l’Opéra de Rouen Normandie qui le représentera la saison prochaine.
L’argument relate la conversion au judaïsme, au onzième siècle, de la jeune Vigdis, par amour pour le fils d’un grand rabbin, David. Cette chrétienne normande de noble extraction devient ainsi Hamoutal. Victime d’un pogrom, en ce temps des croisades, pourchassée, violée et violentée, elle périt en recherchant ses enfants enlevés. Le fanatisme de l’époque trouve encore un écho aujourd’hui, mais la mise en scène a tendance à édulcorer la violence intrinsèque à ce récit, alors que l’Opéra des Flandres n’a pas toujours ménagé son public dans le passé. Comme cette œuvre tend à tirer en longueur, surtout dans la seconde partie, avec une conclusion qui semble ne jamais vouloir se terminer, cette création invite‑t‑elle réellement à prendre conscience des actuels conflits religieux ? Malgré la taille du roman, le librettiste aurait dû condenser davantage encore le texte, le rendre plus concis, plus ramassé, pour en accroître l’impact, surtout que la partie musicale, le plus souvent dans les nuances fortes, voire très fortes, manque de diversité durant un peu plus de deux heures et demie, pour captiver, en dépit de quelques moments de respiration. L’écriture, qui alterne consonance et dissonance, subtilité et brutalité, n’offre plus vraiment de surprise après une trentaine de minutes, les parties vocales manquant, elles aussi, de variété.
Cependant, cette copieuse partition comporte des passages assez inspirés, notamment ceux impliquant des instruments orientaux. Toutefois, cette musique ne se laisse pas aisément définir. Elle semble, d’un côté, moderne, de l’autre, passéiste, en tout cas dépourvue de grande originalité et de personnalité, sans, paradoxalement, faire penser spontanément à un autre compositeur ou à un courant. L’utilisation de l’électronique, quant à elle, vient parfois en contrepoint ou en complément de l’orchestre, surtout pour créer une ambiance. Sous la direction de Koen Kessels, spécialiste de la musique contemporaine, l’orchestre se montre, comme à son habitude, excellent, confirmant ainsi son aisance à aborder des ouvrages de style et d’époque différents. Le compositeur pouvait difficilement espérer mieux pour mettre en valeur sa partition, même pour les parties chorales, qui sollicitent les toujours aussi impliqués choristes de l’Opéra des Flandres, renforcés par des chanteurs amateurs qui participent à cette production dans le cadre d’un projet communautaire.
La scénographie de Hans Op de Beeck présente un certain intérêt, à défaut, là aussi, de faciliter le rapprochement entre les conflits religieux d’alors et ceux de notre temps. Les personnages arborent des tenues plutôt contemporaines mais aussi des habits évoquant le Moyen Age de façon assez simpliste et naïve. La mise en scène recourt à des accessoires modernes, comme des arrosoirs, des échelles, des bacs ou encore des tables de maquillage, mais aussi une machinerie à l’ancienne, manipulée par des figurants pour faire descendre ou monter des toiles. Les lumières produisent de beaux effets, mais c’est, en fin de compte, le mannequin représentant Vigdis qui constitue la meilleure idée de ce long spectacle à la symbolique parfois malaisée à décrypter.
Crédible et de haut niveau, la distribution ne suscite guère de réserve, en particulier Lore Binon, qui accomplit dans le rôle de Vigdis une remarquable performance, par sa présence et sa voix. La plupart des autres chanteurs, qui ont déjà figuré pour certains d’entre eux à l’affiche d’autres productions de l’Opéra des Flandres, incarnent plusieurs personnages et forment un ensemble soudé et impliqué, sans parvenir, eux non plus, à rendre ce spectacle réellement captivant.
Alors qu’il a – un peu trop systématiquement – l’habitude d’ovationner debout dans cette salle, le public reste assis lors des saluts. Il y a vraiment peu de chances que cet ouvrage se maintienne au répertoire. Au moins cette production incite‑t‑elle, sans doute inconsciemment, à réfléchir sur l’immense défi consistant à créer un opéra de grande envergure et au sujet fort. Et à convertir les réfractaires au genre.
Sébastien Foucart
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