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De Kopatchinskaja à Lamsma

Strasbourg
Palais de la Musique
05/19/2022 -  et 20 mai 2022
Serge Prokofiev : Symphonie n° 1 en ré majeur « Classique », opus 25 – Roméo et Juliette : Suites n° 1, opus 64 bis, et n° 2, opus 64 ter
Dimitri Chostakovitch : Concerto pour violon n° 1 en la mineur, opus 77/99

Simone Lamsma (violon)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Aziz Shokhakimov (direction)


S. Lamsma, A. Shokhakimov (© Nicolas Roses)


On attendait beaucoup de Patricia Kopatchinskaja, dans le Premier Concerto de Chostakovitch, partition fleuve que cette interprète à plus d’un titre phénoménale avait prévu de jouer de nombreuses fois ce printemps, à Strasbourg, puis Turin, Birmingham, Aldeburgh... Et puis, après deux récents concerts intitulés « Les Adieux », à Ludwigsburg et Hambourg, soirées très engagées et pessimistes qu’elle a personnellement conçues et dirigées, sur le thème de la catastrophe climatique, plus rien, défection brutale. Concerts très investis et vécus de façon trop intense ? Agenda trop chargé ? En tout cas souhaitons un rétablissement rapide à Patricia Kopatchinskaja, en espérant la retrouver comme prévu dès le 5 juin prochain au Festspielhaus de Baden‑Baden, avec cette fois le Concerto pour violon d’Esa‑Pekka Salonen.


Pour ces deux concerts strasbourgeois (ainsi que la semaine suivante à Turin pour ce même Premier Concerto de Chostakovitch, sous la direction de Marc Albrecht), la relève de Patricia Kopatchinskaja est assurée par la violoniste hollandaise Simone Lamsma, et la révélation est de taille. Certes on change complètement de perspective par rapport à ce que Kopatchinskaja, musicienne très extravertie, voire théâtrale, affichant en tout cas une perpétuelle sensibilité à fleur de peau, aurait pu nous offrir, Simone Lamsma donnant en revanche relativement peu à voir, grande silhouette blonde, visage relativement fermé, concentration extrême. Mais dès les premières mesures, quelle autorité, et quel son ! Son instrument, le Stradivarius « Mlynarski » (qui appartint notamment au célèbre violoniste autrichien Rudolf Kolisch, lequel, suite à un handicap accidentel, l’avait d’ailleurs fait modifier pour pouvoir s’en servir « à l’envers », en maniant l’archet de la main gauche), non seulement résiste magnifiquement à des attaques d’une extrême intensité, mais délivre des sonorités d’une grande variété de couleurs, même dans la nuance piano, voire d’une puissance expressive sans limites. Et ceci tout autant dans les mouvements impairs, dont les longues phrases nécessitent une imperturbable longueur d’archet et un perpétuel investissement physique, que dans l’empoignade à bras‑le‑corps du Scherzo et la vertigineuse cavalcade de la Burlesque. Jamais l’interprète ne paraît prise de court ou même affectée du plus infime vacillement : une maîtrise totale, et d’ailleurs, ce qui est assez rare dans cette œuvre, assumée sans partition. Un parcours d’une densité exceptionnelle, bien valorisé aussi par Aziz Shokhakimov, qui parvient à trouver les bons équilibres, la soliste ne paraissant jamais couverte par les déferlements de l’orchestre, alors même que la course-poursuite est parfois très échevelée. Après un concerto aussi exigeant, on ne s’attendait pas forcément à un bis, pourtant généreusement accordé : le Largo de la Troisième Sonate de Bach, dont les recherches de phrasé et d’articulation, au demeurant, typiques de notre époque, laissent cependant sceptique. Cette musique ne nous toucherait‑elle pas davantage si on la laissait s’épancher plus simplement ?


Soirée par ailleurs copieuse, avec autour de ce concerto de près de trois quarts d’heure, un large programme Prokofiev, capté en direct par Warner, en vue d’un CD à paraître l’an prochain. Un projet prestigieux, mais la Symphonie « Classique »donnée en début de programme a‑t‑elle la moindre chance d’être concurrentielle, dans une discographie touffue ? Même si cette exécution reste propre et raisonnablement pétillante, il y manque tant de choses, en termes de détails, de sens du rebond rythmique, et surtout d’intelligence des transitions. Visuellement aussi, le contraste est étrange, entre un chef qui se veut souriant dans l’approche et une battue qui reste continuellement nerveuse et saccadée. On notera aussi le tempo difficile du Finale, bousculé en moins de quatre minutes : au disque, ce sera plus vite que Toscanini, et à la même allure vertigineuse qu’Abbado (mais ce dernier, à la tête d’un orchestre de chambre d’élite, et d’une toute autre distinction). En fait, lors d’un simple concert, en ayant peu répété, une telle gageure de tempo paraît impossible à tenir, si ce n’est au détriment de la musicalité du résultat.


Frustrantes aussi, les Premières et Deuxièmes Suites extraites du ballet Roméo et Juliette, patchwork bizarre où quelques réussites, dont une fracassante « Mort de Tybalt », voisinent avec d’autres volets à peine présentables. Assez généralement, Aziz Shokhakimov paraît plus à l’aise dans les séquences à grands effets que dans les effusions tendres. La « Scène du balcon », glaciale, passe sans enjeu, et le malheureux « Madrigal » accumule les maladresses et les fautes de goût, dont un sort fait à l’indication Poco rit. sur le solo de flûte, rubato exagéré au point d’en déstabiliser tout l’orchestre, un Philharmonique de Strasbourg pourtant à haut potentiel en ce moment, mais qui paraît mal à l’aise, comme stressé, ne trouvant que rarement sa respiration naturelle. Après ces deux soirées de concert, une longue séance de « patchs » était encore prévue par Warner le samedi soir, mais avec autant de problèmes à revoir, on se demande vraiment si de simples rustines à poser çà et là auront pu suffire à sauver un projet aussi mal engagé. Rendez‑vous au printemps 2023 pour en juger !



Laurent Barthel

 

 

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