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Ce n’est pas encore la fin Bruxelles La Monnaie 04/21/2022 - et 22, 23, 24* avril 2022 Jean‑Luc Fafchamps : Is this the End?#2 : Here’s the Woman! (création) Sarah Defrise (The Teenager), Amaury Massion (The Man), Albane Carrère (The Woman)
Chœurs de la Monnaie, Alberto Moro (chef des chœurs), Orchestre de chambre de la Monnaie, Ouri Bronchti (direction musicale)
Ingrid Von Wantoch Rekowski (mise en scène, concept filmique), Etienne Andreys (décor), Régine Becker (costumes), Gérard Maraite (lumières), José Huedo (vidéo)
(© Simon Van Rompay)
En septembre 2020, la Monnaie a créé la première partie d’un nouvel opéra de Jean‑Luc Fafchamps (né en 1960), Is this the End?, qui doit en comporter trois. Ce projet a été bouleversé par la disparition inopinée de Patrick Davin lors des répétitions, mais il a tout de même pu aboutir. Dans le cadre des représentations, cette saison, de la deuxième à la Salle Malibran, située dans le bâtiment à l’arrière du théâtre, la Monnaie a mis en ligne le premier volet, Dead little girl, accessible gratuitement. La première partie se présentait sous la forme d’une expérience sonore et visuelle à découvrir, non dans la salle, mais chez soi, en se connectant sur le site de l’institution. Cette fois, pour Here’s the Woman!, qui dure aussi environ une heure, les représentations se tiennent en présence de spectateurs.
Cette création se tient éloignée de ce que le public d’une maison d’opéra a l’habitude de voir. Le livret d’Eric Bruchet sort lui aussi de l’ordinaire, que ce soit par son argument – une adolescente se trouve bloquée dans un entre‑deux, entre la vie et la mort – que par sa narration, assez complexe à appréhender et ne respectant aucun carcan traditionnel. Il s’agit, pour faire simple, d’une traduction scénique et musicale de l’expérience de mort imminente, comme l’expliquent mieux que nous saurions le faire le compositeur, le librettiste et le metteur en scène : « Is this the End? est le titre général d’un opéra-triptyque qui traite des états de conscience intermédiaires entre la vie qui se termine et la mort qui se profile. Il s’agit d’un requiem abordé depuis la perspective des presque‑morts, au moment où ceux‑ci sont encore en mesure – peut‑être – de revenir, ou encore d’une "messe" des demi‑vivants ou des consciences en partance ». D’action, il n’en est donc pas vraiment question dans ce « Pop‑Requiem », une dénomination qui traduit l’intégration dans la partition, composée dans un idiome contemporain, de musique plus populaire, comme le rock, avec même des réminiscences de musique orientale et de rave party.
Le dispositif est tout aussi inhabituel : manipulé par trois gardiens de musée, un homme et deux femmes vêtus de bleu, un orgue s’ouvre comme un triptyque. Chacun des panneaux diffuse une création vidéo, superposée aux trois chanteurs, Amaury Massion, un chanteur pop et rock, Sarah Defrise et Albane Carrère, toutes deux de formation classique, qui apparaissent comme détachés de leur représentation filmée – le programme parle assez pompeusement de « concept filmique ». L’idée consiste à suggérer que les trois protagonistes – l’adolescente, l’homme et la femme – se trouvent dans les limbes, dans cet état intermédiaire entre la mort et la vie, hors de l’espace et du temps. L’orchestre, lui, se trouve hors de la Salle Malibran, sa partie ayant été préenregistrée, ce qui nous parait frustrant, voire franchement rédhibitoire, mais le chef, Ouri Bronchti, participe à l’action en faisant semblant de diriger.
Quel est l’avenir, voire la viabilité, d’une telle composition si intrinsèquement liée à la scénographie, et même au livret ? Compte tenu de l’apport essentiel de la dimension visuelle, l’écoute de la seule musique ne se suffit pas à elle‑même. Ce spectacle expérimental et ambitieux laisse à la fois perplexe, car cette pseudo‑modernité paraît paradoxalement d’un autre âge, et admiratif, compte tenu de la qualité de la réalisation. Malgré les mérites d’Albane Carrère, d’une belle sobriété, et d’Amaury Massion, chanteur au timbre magnétique, Sarah Defrise délivre une prestation vraiment marquante par son charme juvénile et sa voix légère.
Dans les notes d’intention, Jean‑Luc Fafchamps, Eric Bruchet et Ingrid Von Wantoch Rekowski se demandent si la fin de la vie n’est pas promise pour bientôt. En tout cas, pour le troisième et dernier volet, ceux qui ont aimé les deux autres devront s’armer de patience : la suite ne figure pas à l’affiche de la prochaine saison.
Sébastien Foucart
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