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Aussi cinglant que péremptoire

Bordeaux
Auditorium
04/22/2022 -  et 24 avril 2022
Antonín Dvorák : Symphonie n° 6 en ré majeur, B. 112, opus 60
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 2 « A Octobre – dédicace symphonique » en si majeur, opus 14
Alexandre Borodine : Le Prince Igor : « Danses polovtsiennes 

Chœur de l’Opéra national de Bordeaux, Salvatore Caputo (chef de chœur), Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Roberto Forés Veses (direction)


R.  Forés Veses


Faut-il désormais s’excuser, ou à tout le moins contextualiser, l’exécution de la musique russe ? C’est ce que semble démontrer la courte intervention orale préalable à ce concert, qui vise davantage Chostakovitch que Borodine. Pour autant, on ne peut minorer les visées nationalistes des « Danses polovtsiennes » (1879), qui cherchent à impressionner un souverain captif par un grandiose rassemblement populaire digne d’un régime totalitaire (même si la dernière production parisienne de l’ouvrage, imaginée par Barry Kosky, en modifie sensiblement le sens). La Deuxième Symphonie (1927) de Chostakovitch célèbre, quant à elle, l’avènement d’un nouveau régime politique, en l’occurrence le premier d’expression marxiste au monde. Quoi qu’il en soit, autant ce préliminaire que le programme très détaillé, permettent de bien saisir les enjeux et le contexte précis de composition de ces deux œuvres.


La soirée débute avec le tout premier chef-d’œuvre symphonique de Dvorák, sa Sixième Symphonie (1881), qui nous embarque dans un élan brahmsien tout de grâce et de légèreté primesautière, proche de la Deuxième Symphonie du maître de Hambourg, composée quatre ans plus tôt. On ne se félicitera jamais assez de l’excellente acoustique de l’Auditorium de Bordeaux, qui permet de se délecter de la direction analytique et étagée de Roberto Forés Veses (né en 1970) : les moindres détails de la partition sont ainsi mis en valeur, du moins dans les passages lents, souvent ralentis et presque évanescents. Les parties plus enlevées montrent une facette plus raide et massive du chef espagnol, avec des tempi parfois dantesques. La symphonie gagne ainsi en modernité ce qu’elle perd en grandeur tragique, le chef délaissant ostensiblement le pathos et l’expression narrative globale. Après le délicieux Scherzo, sommet de la partition, où le pupitre de cors est plusieurs fois mis en avant, le finale trouve un ton plus franc, même si les scansions verticales très appuyées surprennent, autour d’un lyrisme toujours très bridé. La dernière partie du mouvement est toutefois enthousiasmante, tant l’accélération du tempo grise par sa virtuosité sans faille : le toujours impeccable Orchestre national Bordeaux Aquitaine adopte ce parti pris comme un seul homme, recueillant les acclamations méritées du public après le dernier accord.


Apres l’entracte vient le tour de la brève et méconnue Deuxième Symphonie de Chostakovitch, un ouvrage de commande plus proche de la cantate proprement dite que du poème symphonique (que le Russe hésita à préférer). On découvre un ouvrage composite emblématique de la période d’expérimentation constructiviste du compositeur, à la manière des audaces vertigineuses du Prokofiev de la Deuxième Symphonie (1925). Outre les dissonances et instruments inédits (une sirène d’usine) à la manière de Varèse, la symphonie surprend en de mains endroits par ses brusques virages, comme si Chostakovitch avait voulu faire l’étalage de l’étendue de son imagination et de ses possibilités. On retrouve ainsi plusieurs sonorités typiques de sa manière ultérieure, tel que l’usage entêtant de la caisse claire ou des interventions piquantes du piccolo. Roberto Forés Veses semble plus à l’aise ici, avec un début superbe d’étagement des nuances aux cordes graves, avant que l’orchestre ne s’enflamme de tempi cinglants et volontiers péremptoires. L’excellent Chœur de l’Opéra national de Bordeaux montre une attention soutenue à la prononciation et à la précision, même s’il peine quelque peu en fin d’ouvrage à soutenir les attaques franches et engagées du chef, contrairement à l’orchestre. Si l’on peut regretter l’absence de surtitres (de même que la reproduction du texte chanté dans le programme), il faut saluer l’audace d’une telle programmation, rarissime en dehors des intégrales symphoniques dédiées à Chostakovitch, notamment celle de Valery Gergiev salle Pleyel en 2013 et 2014.


Le concert se termine dans l’ivresse des « Danses polovtsiennes » de Borodine, où Roberto Forés Veses poursuit son geste endiablé, négligeant toutefois l’esprit de la musique de ballet au profit d’une virtuosité un rien facile et là encore très rapide. Dommage.



Florent Coudeyrat

 

 

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